Les fiches récentes

23 janvier 2015

Sur le vif

Que fait la Régulation aux opérateurs ? Comment la ressentent-ils ? Est-ce qu'ils l'intériorisent ? Est-ce qu'elle représente pour eux simplement un coût ou bien en ce qu'elle influe sur leur stratégie sur les marchés ?

La question est d'autant plus importante que l'on adhère à la théorie des incitations, considérant que les techniques adéquates de régulation sont celles qui produisent les comportements désirés chez les opérateurs régulés.

L'enjeu n'est pas de savoir si la Régulation est prise en compte dans les dépenses. Cela est acquis. Par exemple, depuis deux ans les banques déplacent des forces internes de certaines services, comme le crédit, au service de conformité à la régulation. La régulation peut représenter une part très élevée des coûts : cela vient notamment du fait que la compliance a internalisé les coûts de la régulation dans l'entreprise.

Mais est-ce que cela fait changer les choix stratégiques de l'opérateur sur le marché, et non pas seulement multiplié les process internes ?

A écouter LLoyds Blankfein, président de Goldman Sachs à Davos, propos immédiatment commentés dans la presse britannique comme étant des considérations apaisées à l'égard de la Régulation!footnote-22, on en doute.

Monsieur Lloys Blankfein, qui siège par ailleurs au conseil d'administration de la Law School d'Harvard, interrogé sur la question de savoir si la banque ne souffre pas de la pression des régulations et des superviseurs,  répond qu'il faut en tenir compte, notamment dans la conception même des systèmes techniques pour satisfaire la compliance mais que lui, la Régulation n'est pas vraiment une contrariété : c'est un "bruit de fond". Il la compare à la musique : quelque chose que l'on écoute beaucoup, mais pendant que l'on fait son travail. Quelque chose qui demeure extérieur.

Cela signifie que pour lui la régulation occupe ses services mais n'affecte pas son travail de président de banque d'affaires.

On peut s'en réjouir, puisque cela montre que la régulation n'entrave pas la libre entreprise et les choix de l'opérateur. On peut s'en inquiéter si on donne à la régulation une fonction "éducatrice", voulant infléchir la façon dont le président lui-même décide. Dans ce cas, la Régulation doit cesser d'être une sorte de coûteuse musique d'ascenseur.

Il n'est pas sûr que Régulateurs et Superviseurs le conçoivent ainsi.

22 janvier 2015

Analyses Sectorielles

Un question simple : être régulateur, est-ce un métier ?

Dès qu'on pose la question, il convient de la décomposer. En effet, le temps n'est plus guère où le Régulateur était une personne physique. Aujourd'hui, le plus souvent, le Régulateur prend la forme d'une Autorité de Régulation, c'est-à-dire d'une entité, dotée ou non de la personnalité morale, intégrée dans l'État ou de nature professionnelle.

Les personnes physiques apparaissent comme membre de l'Autorité, même s'il est vrai que le Président de l'Autorité de Régulation a souvent un rôle très important!footnote-17.

Le choix des commissaires devient déterminant pour l'indépendance et l'efficacité de l'Autorité de régulation. Il convient que la personne ait de l'autorité sur le secteur, qu'elle en soit respecté et qu'elle participe efficacité à l'action collective du Collège.

Essayons de rappeler les deux séries de critères auxquelles on songe pour déterminer le "bon régulateur" afin de prendre comme cas la nomination de Monsieur Yann Padova comme nouveau membre du Collège de la Commission de Régulation de l'Énergie.

21 janvier 2015

Sur le vif

Vient de sortir l'ouvrage de Sofia Ranchordiàs, Constitutional Sunsets and Experimental Legislation, sur un sujet de méthode législative plus particulièrement utilisée en matière de Régulation.

En effet, il y a peu, un président d'une compagnie d'assurance affirmait que les assureurs étaient excédés d'être considérés comme des "rats de laboratoires" par les Autorités de régulation et les Législateurs qui prennent des textes "pour voir", pour un temps, laissant les opérateurs dans l'attente de savoir s'ils pourront conserver la loi à l'avenir en fonction de l'appréciation que le Régulateur et le Législateur auront fait de leur comportement!footnote-14.

L'intérêt de cet ouvrage est tout d'abord de montrer qu'aujourd'hui le législateur court après le temps. Cela renvoie à la figure d'un législateur-gestionnaire, qui veut apporter des solutions à des situations. Est congédié le Législateur qui écrivait dans le marbre, c'est-à-dire hors du temps, parce qu'il exprimait des principes, sa volonté, à l'aune desquels les situations s'ajustaient.

Dès l'instant que la législation devient affaire de gestion, elle devient affaire de temps, de bon timing, et d'efficacité.

Parce que la figure de la Loi a changé, ses modalités devraient changer. La loi la plus adéquate paraît alors la "loi expérimentale", la "loi à l'essai". Cette loi éphémère que les techniques de régulation promeuvent, ne peut prétendre s'inscrire dans le futur que si elle a "réussi". Les opérateurs doivent être bons élèves.

Ainsi, la loi n'est plus qu'un brouillon et c'est son succès qui permet à la norme d'accéder au statut qui allait de soi : la Loi qui vaut pour l'avenir.

Ces lois précaires, que la Régulation présente comme le bon modèle, remettent en cause les principes constitutionnels, la Constitution n'étant elle-même que la Loi suprême ayant vocation à durer pour l'avenir.

Cet ouvrage montre jusqu'à quel point les notions d'efficacité, de test, de flexibilité, peuvent attaquer l'idée même de Loi et de Constitution. Il est vrai qu'en Régulation, tout ne deviendrait que réglementation, y compris la loi mais il est aussi vrai que les cours constitutionnelles sont rétives à admettre les "lois expérimentales".

20 janvier 2015

Analyses Sectorielles

L'esprit d'origine de la Politique Agricole Commune (PAC) était de penser l'agriculture comme un secteur se déployant dans le temps, soumis à des risques naturels et dont les acteurs, à la fois les agriculteurs et la population qui est alimentée, ont des intérêts sur lesquels les États nationaux veillent.

L'esprit de la nouvelle Politique Agricole Commune est différent, voire opposée, ce qui explique la longueur de sa gestation. En effet, la concurrence en devient le principe, en garant d'innovation, de juste prix pour les consommateurs et de compétitivité pour l'industrie agricole européenne face à une concurrence mondiale, ce qui amène à aider les entreprises agricoles, à se soucier de la qualité des produits, éloignant mécaniquement la soustraction des produits au principe de concurrence.

L'accord politique s'est fait en 2013, les textes techniques de base ont été pris fin 2013 pour que le nouveau dispositif soit applicable au premier janvier 2014, notamment un Règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés agricoles (OCM). Celui-ci rappelle que le secteur agricole n'est  soumis  au droit de la concurrence que si le législateur communautaire n'en dispose pas différemment!footnote-16. Un considérant pose presque le principe inverse : "Il convient de prévoir que les règles de concurrence relatives aux accords, décisions et pratiques visés à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'aux abus de position dominante, s'appliquent à la production et au commerce des produits agricoles, dans la mesure où leur application ne met pas en péril la réalisation des objectifs de la PAC". Le Règlement précise : "Il convient de prévoir une approche particulière dans le cas des organisations d'exploitants agricoles ou de producteurs ou de leurs associations qui ont notamment pour objet la production ou la commercialisation en commun de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes, à moins qu'une telle action commune n'empêche ou ne cause une distorsion de la concurrence ou ne mette en péril la réalisation des objectifs de l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne". 

Le 15 janvier 2015, la Commission européenne ouvre une consultation concernant la "vente conjointe d'huile d'olive, de produits de l'élevage bovin et de certaines grandes cultures", cas visés par le Règlement.

Comment le nouvel équilibre va se faire entre Concurrence et Régulation ?!footnote-20

Il est probable que les lignes directrices à venir seront le lieu d'expression de cet équilibre.

19 janvier 2015

Sur le vif

On écoute plus guère les sermons. C'est sans doute pour cela qu'Alain Supiot nous remet sur la table le texte de Bossuet occupant quelques pages mais qui depuis 1659 occupe les esprits sur "l'éminente dignité des pauvres". Quand Bossuet parle de richesse et de pauvreté, les économistes ont intérêt à le lire. Lorsque Bossuet parle d'ordre juste et de "place de droit", les juristes doivent le lire.

Alain Supiot le commente en écrivant à la suite "Le renversement de l'ordre du monde".

Commençons par Bossuet qui rappelle que les riches pensent que tout leur est dû alors que la grâce est donnée aux pauvres et soutient que le riche gagne à partager avec le pauvre, car c'est ainsi qu'il peut alléger des richesses qui l'accablent, entrer dans la communauté (constituée par l'Église) dans laquelle les pauvres ont place première de droit.

Dans son étude, Alain Supiot reprend la définition même de "pauvreté", qu'on comptabilise par l'argent dont l'individu dispose. Il reprend alors le thème de Bossuet pour affirmer qu'au contraire de ce qui résulte des méthodes statistiques (combien de $ par personne et par jour), les fortunés sont "pauvres" puisque le marché les isole, les écartant de toute solidarité. Pourtant, l'ordre naturel devrait les conduire à partager, ne serait-ce qu'en payant l'impôt, et autres mécanismes passant par l'État-providence. Mais il constate que l'État s'éloigne de plus en plus de cette fonction, aspiré par ce modèle des seuls fortunés (les "riches-pauvres"), le seul modèle disponible devenant ce que Alain Supiot appelle le "marché total"!footnote-15.

On peut ne pas partager cette lecture du monde, par exemple si l'on croit que les riches partagent (Responsabilité Sociale de l'Entreprise) ou si l'on croit que l'État - sorte d'Église - a souvent été égoïste, mais écoutons déjà le premier des conseils : relire Bossuet.

A lire le Discours de l'Union du Président Barack Obama ayant pour thème le juste partage entre les pauvres et les riches par la redistribution publique, on repense à Bossuet.

16 janvier 2015

Sur le vif

En lisant la presse, par exemple Les Echos du 16 janvier 2015, on apprend que Standard & Poors vont signer un accord de 1 milliard $ avec l'administration américaine pour éviter un procès.

On ne peut qu'être étonné, voire contrarié.

En premier lieu, l'accord n'est pas encore conclu. Il le serait dans un ou deux mois. Comment se fait-il qu'on le connaisse déjà ? En deuxième lieu, les contrats, car la transaction est un contrat, répertorié par le Code civil, qui n'a pas vocation à être public. Comment se fait-il qu'on en sache déjà tout ? La personne qui a donné l'information "a tenu à garder l'anonymat". On s'en doute ...

En troisième lieu, il est vrai que la régulation des agences de notation est un vaste sujet. Des textes spéciaux ont été pris mais la doctrine juridique a estimé que le droit manquait encore d'outils et que c'était sans doute la responsabilité civile, instrument juridique générale, qui était le plus approprié.

Mais l'engagement de la responsabilité suppose un procès, des preuves, le respect des droits de la défense, de respect des textes. Ici, 1 milliard $ est versé par l'entreprise pour éviter que s'ouvre à son encontre un procès pour que soit allégué contre elle le fait qu'elle aurait sous-évalué le risque des subprimes. Mais d'une part chacun se dit que l'agence de notation l'a bel et bien fait puisqu'elle paie afin que le dossier ne s'ouvre pas. D'autre part, et dans une perspective de régulation, l'information qui serait sortie du procès, un procès étant une forme de crise, ne sortira pas.

Ainsi, l'industrie des "deals de justice", en dehors du fait que certains qualifient le phénomène de "racket", ne constitue pas une "dépénalisation" de la régulation pour le "civiliser" grâce au contrat de transaction. Au contraire, ce mouvement qui se généralise est un accroissement de la répression qui fait aujourd'hui l'économie des droits de la défense pour l'opérateur et des informations pour le secteur.

On ne peut qu'en être contrarié.

14 janvier 2015

Sur le vif

Prenons un cas : la taxe sur les transactions financières.

Certains disent que c'est une bonne idée, d'autres soutiennent que ce serait stupide de le faire. Certains disent qu'on perd son temps de l'évoquer, l'on n'arrivera pas à l'adopter.

Mais dans le journal Les Échos du 13 janvier 2015, le président de l'European Securities and Markets Authority - ESMA aborde la question dans une perspective à la fois plus étroite et plus fondamentale, en affirmant que l'autorité de régulation européenne n'est légitime à adopter que des règles acceptées pour tous les États-membres.

Comme de nombreux pays continuent de ne pas admettre cette taxe, il en conclut que l'ESMA ne prendra pas de position à ce sujet car sur ce type de sujet "il faut faire des règles à 28 où ne pas en faire du tout".

L'on doit donc comprendre que des règles de régulation technique peuvent et doivent être adoptées par le Régulateur, d'autant plus vite et bien que les organes politiques n'ont pas le dernier mots, tandis que pour des règles comme la texte pour les transactions financières, il faut passer par cette légitimité, même si l'on doit préférer renoncer à la demie-mesure actuelle que constitue l'application volontaire dans quelques pays.

Dans une première perspective et dans le cas présent, il faut donc en conclure que la Taxe sur les transactions financières est un acte politique et non un simple acte technocratique de régulation. Dans une seconde perspective et d'une façon plus générale, parce que l'Europe est une zone financière intégrée, elle ne supporte pas que certaines zones adoptent une règle et d'autres non.

Si cette dernière règle générale est vraie, alors la massive zone euro dans l'Europe financière à la fois plus large et dont le Royaume-Uni est l'un des piliers est un problème.

 

13 janvier 2015

Sur le vif

Désormais, l'art de faire les lois est de les réécrire en les aménageant par des mesures techniques auxquelles les auteurs des normes travaillent avant même que les premiers textes dont il s'agit d'appliquer les principes ne sont pas encore en application. La réforme du droit de la régulation des instruments financiers est exemplaire de cela.

Cette impression de "flux" est d'autant plus forte" que les textes soient publiés sous forme de projets, soumis à réponses écrites, voire à débat organisé. La consultation de place est une phase déjà usuelle dans l'élaboration des textes de régulation, mais l'usage des consultations de place a sa source dans les pratiques bancaires et financières.

Dans les textes de l'Union européenne qui se sont succédés de deux textes fondamentaux pour la régulations des instruments financiers, à savoir la directive MIFID 2 et le Règlement MIFIR, texte portant sur les instruments financiers, textes adoptés par le Parlement européen le 15 avril 2014, publié au JOUE en juin 2014 mais qui n'entreront en vigueur en 2017,

Il s'agit d'une sorte de réforme "continuée" puisque la consultation avait déjà commencée sur les textes suivant, contenant les dispositions techniques d'application. Il n'est donc pas étonnant qu'après avoir publié un document de consultation le 19 décembre 2014, l'European Securities and Markets Authority (ESMA), après avoir laissé un peu moins d'un mois pour la lecture de 650 pages, ait offert le projet de modification des textes  à consultation le 12 janvier 2015.

Selon une méthode proche des méthodes juridictionnelles, l'ESMA informe qu'elle écoutera les "parties prenantes", qui vont des autorités publiques aux associations de consommateurs en passant par toutes sortes d'intervenants sur le marché, le 19 février 2015 à la Maison de la chimie à Paris.

Le document de consultation avait quant à lui ouvert un délai pour les réponses écrites allant jusqu'au 2 mars.

Pour intervenir oralement, faut mais il suffit de s'inscrire selon un formulaire fourni.

Désormais assez courante, cette façon de faire en auditions successives, collectives, sans doute contradictoires, ressemble à un procès, pour éclairer le régulateur et éviter les connivences.

Cette méthode des hearings rapproche en première de la juridictionnalisation de la régulation car ce sont des sortes d'amici regulatorie qui sont ainsi écoutés. En outre, puisqu'ils se présentent spontanément, même s'ils passent par le filtre de l'agrément, un peu selon la méthode américaine, c'est un signe d'une co-régulation accrue.