20 janvier 2015

Analyses Sectorielles

L'intégration dans les filières, troisième voie entre exclusion de la concurrence ou abandon à la concurrence : le 15 janvier 2015, la Commission européenne ouvre une consultation sur la mise en oeuvre du dispositif dans la nouvelle PAC

par Bastien Pars

L'esprit d'origine de la Politique Agricole Commune (PAC) était de penser l'agriculture comme un secteur se déployant dans le temps, soumis à des risques naturels et dont les acteurs, à la fois les agriculteurs et la population qui est alimentée, ont des intérêts sur lesquels les États nationaux veillent.

L'esprit de la nouvelle Politique Agricole Commune est différent, voire opposée, ce qui explique la longueur de sa gestation. En effet, la concurrence en devient le principe, en garant d'innovation, de juste prix pour les consommateurs et de compétitivité pour l'industrie agricole européenne face à une concurrence mondiale, ce qui amène à aider les entreprises agricoles, à se soucier de la qualité des produits, éloignant mécaniquement la soustraction des produits au principe de concurrence.

L'accord politique s'est fait en 2013, les textes techniques de base ont été pris fin 2013 pour que le nouveau dispositif soit applicable au premier janvier 2014, notamment un Règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés agricoles (OCM). Celui-ci rappelle que le secteur agricole n'est  soumis  au droit de la concurrence que si le législateur communautaire n'en dispose pas différemment!footnote-16. Un considérant pose presque le principe inverse : "Il convient de prévoir que les règles de concurrence relatives aux accords, décisions et pratiques visés à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'aux abus de position dominante, s'appliquent à la production et au commerce des produits agricoles, dans la mesure où leur application ne met pas en péril la réalisation des objectifs de la PAC". Le Règlement précise : "Il convient de prévoir une approche particulière dans le cas des organisations d'exploitants agricoles ou de producteurs ou de leurs associations qui ont notamment pour objet la production ou la commercialisation en commun de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes, à moins qu'une telle action commune n'empêche ou ne cause une distorsion de la concurrence ou ne mette en péril la réalisation des objectifs de l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne". 

Le 15 janvier 2015, la Commission européenne ouvre une consultation concernant la "vente conjointe d'huile d'olive, de produits de l'élevage bovin et de certaines grandes cultures", cas visés par le Règlement.

Comment le nouvel équilibre va se faire entre Concurrence et Régulation ?!footnote-20

Il est probable que les lignes directrices à venir seront le lieu d'expression de cet équilibre.

1

Conformément à l'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les dispositions dudit traité relatives aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par la législation de l'Union dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévue à l'article 43, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(172)

En raison de la spécificité du secteur agricole, qui dépend du bon fonctionnement de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement alimentaire, y compris de l'application effective des règles de concurrence à tous les secteurs interdépendants tout au long de la chaîne d'approvisionnement alimentaire, dont le niveau de concentration peut être élevé, il convient d'accorder une attention particulière à l'application des règles de concurrence établies à l'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. À cette fin, il est nécessaire que la Commission et les autorités de concurrence des États membres coopèrent étroitement. En outre, les lignes directrices adoptées, le cas échéant, par la Commission donnent des indications utiles aux entreprises et aux autres parties prenantes concernées.

(173)

Il convient de prévoir que les règles de concurrence relatives aux accords, décisions et pratiques visés à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'aux abus de position dominante, s'appliquent à la production et au commerce des produits agricoles, dans la mesure où leur application ne met pas en péril la réalisation des objectifs de la PAC.

(174)

Il convient de prévoir une approche particulière dans le cas des organisations d'exploitants agricoles ou de producteurs ou de leurs associations qui ont notamment pour objet la production ou la commercialisation en commun de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes, à moins qu'une telle action commune n'empêche ou ne cause une distorsion de la concurrence ou ne mette en péril la réalisation des objectifs de l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(175)

Sans préjudice des dispositions réglementant l'offre de certains produits, comme le fromage et le jambon bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée, ou de vin, qui est régie par une série de règles spécifiques, il convient de suivre une approche particulière concernant certaines activités des organisations interprofessionnelles pour autant que celles-ci n'entraînent pas de cloisonnement des marchés, ne nuisent pas au bon fonctionnement de l'OCM, ne faussent pas ou n'éliminent pas la concurrence, ne comportent pas la fixation de prix ou de quotas ou ne créent pas de discrimination.

2

V. d'une façon générale, Frison-Roche, Regulation versus  Concurrence, 2011 ; d'une façon plus particulière, Appliquer le droit de la régulation au secteur agricole, 2005.

En effet, il s'agit d'établir des lignes directrices sur la façon dont le droit des ententes et des positions dominantes va s'appliquer en matière agricole. Les exceptions ainsi dessinés sont des façons indirectes de réguler. Effectivement aujourd'hui, l'agriculture est régulée!footnote-21.

Ici, l'objet de la régulation est très divers. Il peut s'agir de produits particuliers : huile d'olive et produits de l'élevage bovin. Mais il s'agit aussi des "grandes cultures", ce qui ne renvoie plus tant à un produit qu'à une façon de produire. Plus encore, est visée la "vente conjointe", ce qui renvoie au souci que le Règlement du 17 décembre 2013 a exprimé lorsqu'il a requis une "approche particulière" lorsque des organisations professionnelles notamment permettent des actions communes.

 

I. LE SOUCI D'UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE : LA PRISE EN CHARGE DE FACILITÉS ESSENTIELLES PAR LA PROFESSION

Par les consultations, l'auteur de la norme exprime tout autant sa conception que ceux qui répondent à la consultation. Dans le système de la PAC, la Commission européenne a beaucoup de pouvoirs normatifs délégués.

D'une façon ramassée, la Commission soulignent que les producteurs peuvent s'organiser entre eux (c'est-à-dire s'entendre structurellement) dès l'instant que cela "améliore sensiblement l'efficience des agriculteurs en leur fournissant des services d'appui". 

Il pourra principalement s'agir de services pour : l'entreposage, le transport ou la distribution.

En premier lieu, on observe que les services visés sont les mêmes que ceux qui correspondent souvent à des monopoles naturels dans les secteurs régulés organisés : le transport, l'entrepôt des stocks (par exemple en matière gaz) et parfois la distribution.

En second lieu, le droit communautaire reconnaît que ces fonctions "essentielles" ne peuvent être laissées au seul marché mais préfère encore les voir prises en charge par la profession plutôt que par les États.

Les corps intermédiaires sont-ils l'avenir de la "régulation de la mondialisation" ?

 

II. LE SOUTIEN PAR LES SERVICES D'APPUI À L'ENTREPRISE AGRICOLE

En premier lieu, le recul de la concurrence ne se fait plus au bénéfice du produit mais au bénéfice du producteur. Bien qu'on voit parfois mal la différence entre le producteur d'huile d'olive et l'huile d'olive.

A travers ce producteur, que les textes continuent de désigner "à l'ancienne" comme étant "l'agriculteur", c'est l'entreprise agricole qui est visée.

En second lieu, les mesures admises ne sont plus des mesures de protection, c'est-à-dire de pure soustraction à la concurrence. Il s'agit de mesures ayant pour fonction de "stimuler l'investissement" et de procurer des "gains d'efficience" à l'agriculteur.

Ainsi, il ne s'agit pas de permettre des rentes au bénéfice des agriculteurs, espèce en voie de disparition, mais au contraire d'accroître la performance d'une économie agricole européenne en concurrence.

C'est pourquoi les "grandes cultures" sont les premières à devoir en bénéficier.

Ainsi, c'est "performance contre performance", la performance des services collectifs d'appui dans une économie de coopération contre la performance du marché concurrentiel où chacun lutte contre chacun.

 

III. LA LIMITE DANS LE VOLUME DES PRODUCTIONS FACILITÉE

Trace sans doute de la première PAC, le texte d'une façon plus régalienne pose qu'il ne faut pas que ce système bénéficie à un volume de production trop élevé (on en revient au produit et à la technique des seuils).

En effet, il ne faudrait pas tout d'abord que sous couvert d'une vision plus solidaire et plus innovante d'une économie ainsi régulée par une incitation à la solidarité privée, on en revienne aux mêmes résultats parfois regrettables de l'économie administrée.

Ensuite et surtout, ces services d'appui fournis par des collectivités puissantes ont vocation avant tout à bénéficier à des entreprises agricoles petites ou moyennes, rendues plus performantes. Leur existence peut inciter des jeunes agriculteurs à entrer sur le marché.

Cela montrerait que la régulation est aussi une voie vers la concurrence. C'est son premier sens.

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