Les fiches récentes

7 septembre 2018

Sur le vif

Dans le cycle de conférences sur le thème de l' Europe de la Compliance organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC), auquel s'associent l'École d'affaires publiques de Sciences po, le Département d'économie de Sciences po, l'École doctorale de droit privé de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) et l'École de droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)lors de la conférence du 6 septembre, Monique Canto-Sperber a fait la présentation générale du thème Les vertus de la Compliance.

Comme les nombreuses personnalités qui y ont pris la parole et la prendront dans les prochaines conférences, l'on a vocation à retrouver sa contribution dans l'ouvrage qui sera publié dans la Série Régulations & Compliance sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche aux Éditions Dalloz.

Par cette présentation des Vertus de la Compliance, Monique Canto-Sperber a notamment permis une meilleure compréhension de la conférence faite par Pierre Sellal, quant à elle davantage consacrée à la perspective européenne, tandis que Didier Martin dans sa discussion a ainsi pu revenir également dans cette perspective philosophique et morale, perspective dont les techniques de Compliance ne doivent jamais s'abstraire et que les entreprises privées intégrent.

 

Lire ci-dessous une présentation détaillée et commentée de l'intervention de Monique Canto-Sperber.

 

 

6 septembre 2018

Sur le vif

En matière de régulation, l'accumulation des règles et leur variation incessante font que l'on n'y comprend plus rien. Otun Droit que l'on ne comprend pas est un Droit inutile.

C'est pourquoi l'on en revient toujours aux exigences et solutions classiques, ramenant aux mêmes sources : les principes de l'interprétation, dont le système qui prévient le blanchiment d'argent ne saurait se détacher, relayés par la "doctrine" émise par les régulateurs qui posent des lignes directrices et la jurisprudence qui éclaire l'avenir à partir des cas passés.

Cela fonctionne ainsi que l'on soit en systèmes dit de "Common Law" ou dit de "Civil Law", qui ne sont pas de structure diffirente.

Ainsi, l'ACPF et TracFin ont émis des "lignes directrices", c'est-à-dire une doctrine institutionnelle pour que l'on s'y retrouve - et de la même façon - en ce qui concerne les obligations de déclaration de soupçon pesant sur les banques en matière de blanchiment d'argent.

La Commission des sanctions de l'ACPR, par une décision du 6 juillet 2018, Société D, vient illustrer ces textes généraux, sécurisant ainsi leur application. 

 

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Dans le cas examiné par la Commission des sanctions, un établissement d'assurance vie a notamment commercialisé un temps des bons de capitalisation au porteur  (BCP) à laquelle était attaché un mécanisme d'anonymat fiscal, pour un volume et des montants très élevés. Lors d'un contrôle opéré par l'ACPR, il lui a été reproché de ne pas avoir placé un tel produit dans la catégorie de "risque élevé" au regard du blanchiment d'argent. 

Pour se justifier de ne l'avoir pas fait, l'établissement souligne que rembourser d'une façon anonyme de tels produits, éventuellement en espèces résulte d'une obligation légale et qu'il ne peut s'y opposer dès l'instant qu'une personne se présente avec un tel BCP, sauf à ce qu'on lui démontre que le titulaire du bon n'est pas légitime à obtenir le remboursement. Le Droit ne peut le contraindre à plus de vigilance, sauf à se contredire entre ses propres normes. 

A cela, la Commission des sanctions répond que la "présomption de licéité" des transactions (ici acheter et revendre des titres anonymes) se superpose avec l'obligation de vigilance sur les circonstances dans lesquels le porteur opère la transaction et l'obligation d'examen renforcé des transactions, en raison de la qualification de "risque élevé" en raison de la nature du produit.

L'établissement souligne qu' "aucune disposition légale" ne l'obligeait à un tel classement de ces titres de BCP dans les instruments de "risque élevé", que cela n'est mentionné que dans des "textes sans valeur normative", et qu'on ne peut donc lui reprocher de l'avoir classé en "risque normal", d'autant plus que par la suite après l'intervention de l'ACPR il a changé sa qualification. 

Cette présentation du Droit est balayée par la Commission des sanctions qui rappelle simplement que "une classification des risques au titre de la BCB-FT doit prendre en compte le degré d'exposition au risque résultant de chaque produit émis ou commercialisé et de chaque catégorie d'opération". 

Or, comme le souligne la Commission des sanctions, le BCP a été pris comme exemple de cela par  des textes "non-contraignants" de l'ACPR et dans une décision précédente de la Commission des sanctions de l'ACPR. La Commission des sanctions continuent en soulignant que cela "ne crée pas d'obligation nouvelle" mais cela "attire l'attention" sur l'existence de tels risques et les obligations de vigilance qui en découlent, et cela avant même qu'un décret vienne le formuler expressément. 

 

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Le Droit de la Compliance qui internalise dans les établissements de banque et d'assurance la charge de lutter contre les atteintes à la probité, requiert à ce titre qu'ils décèlent les comportements pouvant constituer des activités criminelles et délictuelles. Il ne s'agit pas de sanctionner un comportement Ex Post que serait le "simple" blanchiment d'argent mais bien de mettre en place un système objectif Ex Ante confiant à l'établissement le soin de détecter toutes les anomalies et d'en relayer l'information aux autorités publiques. 

A ce titre, la mise en catégorie des "risques" par l'établissement lui-même est un élément-clé du système.

Si l'on est en droit pénal classique, l'on dira que si un produit n'est pas visé comme étant risqué, alors parce que cette qualification aboutit à terme à une sanction, tant qu'il ne l'est pas l'établissement ne le qualifie pas ainsi.

Mais tout d'abord, il y a la "nature des choses" : un instrument remboursable anonymement et en espère représente "par nature" un risque élevé. A un moment le bon sens revient .... et prévaut sur le principe de l'interprétation restrictive. 

Ensuite, cela avait déjà été "dit". Certes pas par un décret (qui vînt après les faits, alors le Droit sanctionnateur ne peut avoir un effet rétroactif). Mais comme le dit habilement la Commission des sanctions, cela fût dit par le Régulateur et dans son activité de soft law et dans un cas, et c'est ainsi pour "illustrer" cette sorte de vérité quant à la "qualification" de risque.

Or, et c'est toute la nature du Droit de la Compliance, lorsqu'il y a un "risque élevé" d'atteinte à la probité, alors il faut, et une vigilance accrue, et une déclaration de soupçon. Raisonnement téléologiquement et Droit sanctionnateur sont compatibles.

C'est donc la "nature des choses" qui prévaut sur l'interprétation "à la lettre" des textes applicables au moment des faits. 

Et cette "nature des choses" est colorée par la fin poursuivie par le Droit de la Compliance : ici au minimum la fraude contre la lutte fiscale.

 

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23 juillet 2018

Sur le vif

Le 4 juin 2018, la SEC a nommé Valérie Szczepanik pour prendre en charge la question de ce qu'il convient sans doute d'appeler les "crypto-objets", puisqu'il s'agit à la fois des crypto-actifs et de la crypto-monnaie. 

L'on peut certes distinguer, car la monnaie n'est pas un produit financier et la façon de sécuriser ne rend pas fongibles les biens ainsi sécurisés. Ainsi les actes instrumentaires conservés par blockchains ne peuvent pas être fondus dans ce qui est ce nouveau mode de gestion des risques et à ce titre de circulation.

Mais en distinguant entre ce qui sert à payer et qu'il est convenu d'appeler crypto-monnaie et ce qui renvoie à une valeur d'entreprise et qu'il est convenu d'appeler crypo-actif, l'on est écartelé de ce fait entre différents régulateurs. 

Par exemple les Banques centrales pour les monnaies - dans une perspective plutôt hostile - et les Régulateurs financiers pour les titres financiers - dans une perspective plutôt accueillante.  

Comme le fait remarquer pertinemment une analyse financière, l'absence d'un Régulateur est alors un handicap certain pour les opérateurs qui demandent une "Régulation" centralisée, se réjouissent à tout le moins de cette nomination permettant aux différents régulateurs de mieux se parler : "her job will be to rationalize the application of U.S. securities laws to cryptocurrencies and work with other agencies to coordinate regulatory oversight.".

 

23 juillet 2018

Parutions : I. Articles Isolés

Le 4 juin 2018, la SEC a nommé Valérie Szczepanik "for digital assets and innovation", c'est-à-dire pour prendre en charge la question de ce qu'il convient sans doute d'appeler les "crypto-actifs".

Sans doute faudrait-il parler de "crypto-valeurs", puisqu'il s'agit à la fois des crypto-actifs et de la crypto-monnaie. 

En effet dans son communiqué, la SEC précise sa fonction : "Ms. Szczepanik will coordinate efforts across all SEC Divisions and Offices regarding the application of U.S. securities laws to emerging digital asset technologies and innovations, including Initial Coin Offerings and cryptocurrencies.".

L'on peut certes distinguer, car la monnaie n'est pas un produit financier et la façon de sécuriser ne rend pas fongibles les biens ainsi sécurisés. Ainsi les actes instrumentaires conservés par blockchains ne peuvent pas être fondus dans ce qui est ce nouveau mode de gestion des risques et à ce titre de circulation.

Mais en distinguant entre ce qui sert à payer et qu'il est convenu d'appeler crypto-monnaie et ce qui renvoie à une valeur d'entreprise et qu'il est convenu d'appeler crypto-actif, l'on est écartelé de ce fait entre différents régulateurs. 

Par exemple les Banques centrales pour les monnaies - dans une perspective plutôt hostile - et les Régulateurs financiers pour les titres financiers - dans une perspective plutôt accueillante.  

Comme le fait remarquer une analyse financière, l'absence d'un seul Régulateur est alors un handicap certain pour les opérateurs qui demandent une "Régulation" centralisée, se réjouissent à tout le moins de cette nomination permettant aux différents régulateurs de mieux se parler : "her job will be to rationalize the application of U.S. securities laws to cryptocurrencies and work with other agencies to coordinate regulatory oversight.".

La proposition faite par l'article, qui pose que la réglementation américaine est un handicap par rapport à d'autres zones du monde, est alors de laisser faire l'autorégulation ....

En tout cas le saut technologique que constitue le blockchain oblige à revenir sur le fait d'avoir considéré la monnaie comme une marchandise, ce qu'elle n'était pas, puis les titres de sociétés comme une marchandise, ce qu'ils n'étaient pas davantage, la première étant un instrument d'échange émis par l'État garant d'un marché qui n'est pas spontané, les seconds étant le représentant d'un lien de créance entre une société et ceux qui à l'unisson l'ont instituée, ne nous revient pas en boomerang. 

Parce que tout serait devenu marchandise, tout pourrait devenir jeton, sans un achèvement de la neutralisation. Tout d'abord seuls des émetteurs, puisque ce à quoi les marchés s'adossaient, État et entreprises, ont été récusés. Aujourd'hui la neutralisation entre les titres et la monnaie, le processus de sécurisation qu'est le blockchain pouvant suffire à cela, comme le marché avait un temps suffi pour les objets échangés.

En cela, le processus technologique de traitement du risque qu'est le blockchain aurait le même effet de neutralisation du monde, par exemple la monnaie ne se distinguant plus d'un titre, que celui qu'eût le processus économique de traitement des échanges qu'est le marché. 

  

 

 

19 juillet 2018

Parutions : I. Articles Isolés

La Commission européenne a condamné Google pour abus de position dominante, l'a condamné à une très lourde amende et lui a enjoint de se mettre en conformité sous 90 jours, dans un programme dont Google a la seule responsabilité, faute de quoi une sanction calculée en pourcentage de la société Alphabet sera prononcée.

Les commentaires partent dans tous les sens. Mais ils sont plutôt caustiques.

Dans l'ensemble, il s'agit plutôt d'affirmer que malgré le montant élevé de la sanction prononcée par la Commission européenne, qui a fait un petit choc parce qu'elle montrerait que l'Europe existerait..., cela ne fera pas grand chose à Google.

C'est par exemple l'analyse que l'on va trouver dans un long article d'un journal américain, ou bien dans un long article d'un journal anglais, ou bien dans un long article d'un journal français. Sans évoquer ici les commentaires plus politiques!footnote-113.

On y retrouve tous les arguments pertinents. Tout d'abord que des montants qui nous paraissent très élevés ne le sont pas tant pour des entreprises qui sont portées par des marchés financiers qui compensent, les entreprises craignant plus les ordres et les interdictions que les sanctions pécuniaires. C'est pourquoi le sujet actuel du Droit de la concurrence est bien le contrôle des concentrations, c'est-à-dire le "pouvoir de dire Non".

Mais précisément, il est étonnant de ne pas accorder d'intérêt au fait que la partie la plus importante de la décision de la Commission européenne n'est pas dans le prononcé de l'amende, qui porte sur un comportement passé, mais sur un ordre pour le futur de reconfigurer ses relations contractuelles, c'est-à-dire l'ouverture même de son système, pour que puissent se développer des applications nouvelles inventées par des tiers indépendants. Que Google soit une pépinière et non un étouffoir. Il est d'ailleurs remarquable que l'entreprise dans son premier argumentaire pour soutenir l'appel qu'elle forme est d'affirmer que sans elle et son soutien les déploiements ne s'opéreraient pas.

Ainsi, la logique est la même que pour les plateformes. Simplement le mécanisme est ici le contrat. Lorsqu'il est affirmé parfois que l'essentiel est la technologie, le Droit se contentant de mettre en musique les avancées technologiques, le Droit suivant l'innovation technologique (c'est quasiment l'incipit de tout article de doctrine et de tout commentaire sur un réseau social), la décision de la Commission montre l'inverse : le contrat est au contraire l'Ex Ante par lequel l'entreprise maîtresse pose le cadre dans lequel les autres sont autorisés à se déployer.

C'est donc face à un appareillage contractuel conçu par Google et visé sous trois aspects par la Commission que le Droit de la concurrence a été mobilisé pour qu'à l'avenir cela cesse. Car l'objet de la décision n'est pas le passé, lequel a été réglé par l'amende : son objet est le futur pour que l'appareillage contractuel Ex Ante construit par Google soit reconstruit afin que l'innovation ne soit plus étouffée.

ET LA QUESTION EST LÀ.

En effet, le Droit de la concurrence est une branche du Droit Ex Post. C'est pourquoi son pouvoir est celui de prononcer des amendes.

Les premiers commentaires par les économistes n'ont pas été de commenter le montant de la sanction mais les effets incitatifs sur les uns et les autres à l'avenir.

En effet Google a utilisé l'instrument juridique par lequel les parties organisent et structurent l'avenir : le contrat. Le contrat est depuis toujours analysé comme un élément de prévision et d'organisation de l'avenir. Même si c'est davantage le Droit des sociétés qui à travers le contrat de société sur lequel se construisent les entreprises, puis le Droit de la distribution qui à travers le contrat-cadre sur lequel se construisent les réseaux, le phénomène est le même. Mais le Droit n'a pas trouvé les qualifications, soit les notions de "groupe de contrats" n'en rendant pas compte, soit des notions imaginées comme "écosystème" ou des mots tautologiques comme "plateforme" n'apportant pas matière au Droit.

Le Droit de la concurrence ne se saisit de l'avenir que dans la part du Droit de la Régulation qu'il a en son sein, à savoir le contrôle des concentrations, enjeu majeur aujourd'hui. Mais les entreprises, et c'est leur liberté, peuvent étendre leur maîtrise structurelle de l'avenir, par d'autres formes juridiques que la concentration, de multiples contrats le permettant.

Les instruments comme des injonctions de faire ou de ne pas faire pour prévenir des comportements précis ou des mesures provisoires ou conservatoires ne sont pas à la hauteur des enjeux.

La Décision de la Commission européenne a donc fait une alliance, alliance faite depuis toujours par ailleurs : entre le regard Ex Post sur des comportements et les exigences prospectives de la Compliance.

En effet, la Commission européenne dans la partie la plus importante de la décision, demande à Google sous "sa seule responsabilité" de faire en sorte que toutes les dispositions contractuelles n'aboutissent plus à étouffer l'innovation mais au contraire à l'accueillir.

La façon dont cela sera fait, Google a 90 jours pour l'imaginer, le négocier, le mettre en pratique, cela est son affaire. L'Autorité publique se contente de donner le but et les délais.

L'alliance du Droit de la concurrence et du Droit de la compliance, le but étant donné par l'Autorité publique, le poids des moyens portant sur l'entreprise pour atteindre à l'avenir le but.

A cette aune-là, sans doute les analyses faites par la presse sans beaucoup de considération pour le Droit et la Compliance sont-elles à nuancer.

Mais si l'on reprend plutôt la perspective des questions, l'on débouche alors sur une question plus générale.

 

Est-ce que l'alliance entre le Droit de la Concurrence et des techniques de Compliance pourra-t-elle suffire pour réguler l'espace numérique ?

Les économistes ont tendance à le penser, affirmant à juste titre que le Droit de la Régulation tel qu'il fût constitué, ancré dans des secteurs, ne peut plus être utilisé puisque le numérique n'est pas un secteur, ce qui est vrai.

Mais si l'on considère que le Droit de la Régulation s'est lui-même transformé en Droit de la Compliance, Droit de la Compliance qui n'est pas sectoriel, qui demeure Ex Ante et global, qui contrairement au Droit de la concurrence n'est pas limité aux seules considérations économiques et qui n'est pas réduit aux seules "techniques" de Compliance, l'on peut penser qu'un Droit de la Compliance, dont le Droit européen des données personnelles (sans rapport avec le Droit de la concurrence) est un exemple,  est le plus à même de saisir ce nouvel espace dans lequel nous vivons désormais. 

8 juillet 2018

Sur le vif

6 juillet 2018

Sur le vif

La Commission des sanctions de l'ACPR vient de prononcer le 3 juillet 2018 une sanction à l'encontre de la Caisse fédérale du Crédit mutuel

Celle-ci a désormais deux mois pour exercer une voie de recours contre une sanction prononcée en matière de diligences attendues des banques en matière de blanchiment, piliers du Droit de la Compliance. 

Retenons ici ce qui est le socle d'un système de Compliance : les charges de preuve.

Or, la difficulté vient du fait que toute la Compliance est un ensemble d'obligations structurelles Ex Ante dont la non-exécution par les entités assujetties entraîne la  sanction de celles-ci. Les mécanismes en matière de blanchiment ne sont qu'un exemple de cette définition très générale.

Cette définition très générale entraîne des conséquences probatoires essentielles en matière de charge de preuve, dont on retrouve une concrétisation dans cette décision qui sanctionne une banque en matière d'obligations structurelles en matière de lutte contre le blanchiment.

Présomption d'innocence limitée au risque de la preuve

Tout d'abord, parce qu'il y a une perspective permanente de sanction, la Commission des sanctions rappelle que la personne poursuivie bénéficie de la "présomption d'innocence", principe général de valeur constitutionnelle qui  fixe d'une façon définitive la charge de prouver le manquement sur la tête de l'organe qui reproche le manquement, par exemple le procureur ou le régulateur. La Commission des sanctions le dit en ces termes, mais c'est déjà d'une façon "balancée" : " si le doute doit profiter à la personne poursuivie, il appartient à la Commission, au vu des éléments dont elle dispose au terme de la procédure contradictoire, de porter sa propre appréciation sur les faits et les qualifications que retient la poursuite".

Ainsi, si à la fin l'on ne sait pas, alors l'on ne sanctionne pas.

Ainsi le "risque de la preuve"!footnote-112 profite donc bien à l'opérateur et non pas à la poursuite (c'est-à-dire au Régulateur, fonctionnellement distingué dans ses fonctions de poursuite et ses fonctions de sanction). 

 

Contribution égale des parties au débat et pouvoir exclusif de celui qui juge pour apprécier et qualifier : une évolution générale dont le Droit de la Compliance est la pointe avancée

Mais c'est pour dire dans la même phrase que la poursuite donne tous les éléments à la formation de jugement et  que c'est elle qui va peser le pour et le contre (débat contradictoire) et apprécier les faits. 

Il y a donc en réalité transfert de la charge sur le juge, à travers son pouvoir d'appréciation, ce qui est le mouvement général du système probatoire, chacun mettant dans le débat (le demandeur comme le défendeur aux diverses allégations) et ensuite celui qui juge fait le tri et apprécie, les preuves et les qualifications étant des opérations intellectuelle qui ne se distinguent plus. 

L'on arrive enfin par un mouvement général du Droit économique à la fois à une montée en puissance du principe du contradictoire comme mode de construction logique des termes du dossier par les parties et en même temps par un pouvoir inquisitoire de celui qui juge et qui en quelque sorte ramasse l'ensemble pour apprécier et qualifier : c'est la définition même du procès par Motulsky qui a, le premier, construit en 1973 le "droit processuel" ne distingant pas entre droit civil, droit pénal et droit administratif. Le Droit économique lui donne aujourd'hui raison. 

Il ne reste donc plus de de la présomption d'innocence que le risque de preuve.

Or, le Droit de la Compliance a mis par ailleurs en place des obligations structurelle Ex Ante de contrôle. Il en découle un système probatoire d'une grande sévérité. 

 

Sévérité et précision du système probatoire attaché aux obligations structurelles de Compliance

En effet, dans cette décision très soigneusement et concrètement motivée, la Commission des sanctions de l'ACPR apprécie la robustesse et l'efficacité des contrôles sur l'organisation interne de contrôle de l'identité véritable des clients, sur les dispositifs d'alerte, sur la déclaration de soupçon.

Il serait faux de dire que les banques sont toujours coupables.

Mais elles doivent être structurellement aptes à réagir à des anomalies, le faire en "temps utile", avoir des chaînes entre les différents organes qui fonctionnent bien, alerter Tracfin. Le fait qu'elle l'ait fait correctement pour de nombreux cas ne justifie pas qu'on ne la sanctionne pas pour les cas où cela aurait être fait et cela ne l'a pas été, alors qu'il y avait objectivement des renseignements fournis par le client qui n'auraient pas dû convaincre le client.

C'est donc une leçon de jugement perspicace et de bons réflexes qui est donnée par l'ACPR.

Non seulement les banques doivent la retenir mais elles doivent garder la preuve du souci qu'elles en ont, du soin qu'elles en garde et de la vélocité objective qu'elles mettent à accomplir leurs diligences. A ce titre la sanction pour déclaration tardive à Tracfin est particulièrement instructive.

Car si le risque de preuve est bien sur la poursuite, il est bien acquis que ce n'est pas à celle-ci de construire une démonstration : celui dont l'office est de sanctionner en Ex Post a en réalité pour fonction d'éduquer les opérateurs dans leur tâche en Ex Ante ce qui le situe lui-même en Ex Ante. 

Dans cette sorte d"Ex Ante "cognitif"!footnote-111 que sont les décisions de sanction, en Droit de la Compliance comme dans le Droit de la Régulation, la charge de verser dans le débat contradictoire tous les éléments pour prouver qu'ils ont bien accompli objectivement ce dont le système les a chargés (ici détecter et prévenir le blanchiment) reposes bien sur les opérateurs, ici la banque.

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1 juillet 2018

Sur le vif

The Economist a publié un article le 28 juin 2018 pour montrer que Netflix va révolutionner la télévision, dans ses usages, ses techniques et son économie.

Prenons le phénomène du côté du Droit.

Netflix n'est pas une entreprise de média. C'est une entreprise technologique qui capte des données.

Du point de vue du Droit, nous ne savons pas comment le qualifier.

Cela est perceptible en Droit de la concurrence et en Droit de contrôle des concentrations (qui appartient plutôt au Droit de la Régulation). 

Pour l'instant nous ne sommes que dans la "réaction" : les autorités américaines "réagissent". Leur "réponse" consiste à ne plus mettre  de freins aux concentrations dans les médias...

C'est tout d'abord une réponse faible et non-autonome, l'idée étant que si l'on laisse grandir Disney, alors Disney et Netflix pourront mieux s'entredévorer et le consommateur sera bien servi. C'est d'ailleurs ce qu'explique Netflix en affirmant que le consommateur a tant d'argent à affecter à ses loisirs et de temps à passer devant ses écrans qu'ils peuvent bien se le partager. Propos qui devraient glacer des autorités en charge de contrer les ententes....

C'est d'ailleurs une réponse qui peut avoir des conséquences graves car sans doute motivée par cette impuissance elle a donné le signal à d'autres, par exemple dans l'industrie pharmaceutique comme quoi avec un tel précédent il n'y avait donc plus de barrière pour de méga-fusions....

C'est ensuite une absence totale d'action.

Certes l'on peut adopter un point de vue américain : c'est aux entreprises d'agir et non pas aux Autorités publiques ou au Droit. C'est ainsi que l'innovation se développe, en laissant les entreprises libres, et c'est ainsi que la Silicon Valley a inventé le monde nouveau des données. Mais les données ont toujours existé puisque ce ne sont que des informations sur nous-mêmes, nous-mêmes et ce que nous donnons à voir de nous-mêmes ayant toujours existé. C'est l'idée même de les monétiser après les avoir pulvériser et reconstruite dans d'autres blocs (méta-données) qui les a transformées en or. C'est ce que démontre West Word, série magnifique produite par ... une industrie de média, HBO, pour répondre à Netflix. 

Mais si l'on croit que le Droit sert encore à quelque chose, par exemple à "réguler les plateformes" car il s'agit de cela, il faudra mieux que nous "agissons", c'est-à-dire que nous pensions ce "cas Netflix", ou/et à travers lui  l'industrie prodigieuses des données.

Elle a créé de l'or approprié à partir d'un commun disponible depuis toujours. Le génie a consisté à créer une industrie de la donnée indifférente à ce qui nous est donné en échange, ici un film, une série, une jeu. Contre lesquels l'industrie des films, des séries et des jeux ne peuvent pas grand chose car celle-ci vend les films, les séries et les jeux et ne peuvent pas les vendre à prix négatif, alors que Netflix ne les cèdent qu'en supplément de ce qui est acquis : l'information que nous donnons sur nous-mêmes. Ils peuvent donc nous offrir le film qui n'est qu'un "cadeau-bonux". C'est pourquoi la "personnalisation" extrême que Netflix fait de ses produits, aux différents pays devrait nous alerter. C'est pourquoi la haute-couture de séries faites que pour moi me donne l'information que je suis moi-même le plat principal du repas de roi ainsi servic. 

En cela Netflix est économiquement beaucoup plus proche de Facebook qui nous donne tout gracieusement puisque nous nous donnons à lui que de Disney ou de HBO ou de Warner qui doivent encore prétendre nous demander un peu d'argent puisqu'ils prétendent encore avoir pour objets la production de films, de séries, de personnages, de scénarios, de jeux, etc.

La puissance du modèle tient dans la reconstruction par la technologie des données pour de très multiples usages. Par exemple la prévision de l'avenir. En échange, les sous-jacents que sont les personnes reçoivent pour l'instant une série sur la reine d'Angleterre. Mais pourquoi pas un bouquet de fleurs ? Ou un repas ? Ou un habit ? Ou une voiture ? 

En effet, l'industrie des données a neutralisé le sous-jacent. Par exemple le média. Mais Uber apporte les repas. Netflix peut apporter un costume. Qui a quelque chose à "redire" ?

Face à cela, le Droit ne dit rien. 

Sans doute parce qu'il est dépassé dans ses catégories et lorsque le Droit ne conçoit pas, ne qualifie pas, il ne peut rien "dire". Il a fallu que les juges voient dans les personnes qui roulent dans les voitures des "salariés" d'UBER pour qu'un peu d'ordre revienne. C'est donc dans les marques de la qualification que le Droit doit se retrouver. 

Le Droit doit d'abord remettre en cause la notion de "gratuité" et de "don". 

Le Droit ne pense toujours pas le gratuit, réduit à être l'absence d'échange d'argent, alors que je me donne moi-même. Et quand je me donne moi-même, le Droit appelle cela de "l'altruisme"..., alors que le Droit commercial ancien dans sa sagesse interdisait l'acte gratuit dans les affaires car l'on sait bien que l'on ne se donne pas contre rien. Le gratuit n'existe pas et le discours altruiste n'est pas inconcevable si c'est l'entreprise qui devient altruiste et peut le prouver (RSE) il devient très étonnant si ce sont les personnes qui se donnent elles-mêmes aux entreprises : le "discours du don" et l'appel au "consentement altruiste" n'ont jamais autant prospéré dans un système où l'unité de compte est celle du milliard de dollars. 

Le Droit doit ensuite remettre en cause la notion d'espace, pour qualifier les "plateformes".

Pour l'instant l'on connaît peut-être la plateforme comme un fait, mais en Droit l'on ne sait pas ce que c'est. Un marché ? Une place ? Un point d'intersection ? Il est possible que l'on puisse réduire la plateforme à être un marché, au sens le plus traditionnel du terme, la place du marché où chacun peut se rencontrer et se dire avant tout bonjour, se regrouper en communautés. Une place de village plutôt qu'une place financière. Peut-être qu'il existe plusieurs sortes de plateformes, non pas selon les objets concrets qu'on vient y chercher ou y proposer car la plateforme se repère plutôt par celui qui la tient mais plutôt : par la technologie utilisée ? par le degré de connaissance de la personne qui y entre ? par le degré de civilisation qui y règne ? 

Ces espaces que sont les places, les moteurs de recherches ou les réseaux sociaux sont-ils en Droit réductibles à une seule notion, de sorte qu'on puisse leur appliquer le même régime ? Lorsque les entreprises croisent leurs données, par exemple entre un média et un réseau, étant propriétaires des deux, le Droit appréhende la situation différemment suivant qu'il y voit deux espaces qui communiquent ou qu'un seul espace déjà en fusion. 

Admettre en Droit que nous avons beaucoup à concevoir pour  "réguler les plateformes". 

 

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