7 septembre 2018

Sur le vif

S'appuyant sur les interventions de Monique Canto-Sperber et de Pierre Sellal, sur "Les vertus de la Compliance" Didier Martin a souligné le rôle volontairement et "par vertu" endossé par les entreprises

par Marie-Anne Frison-Roche

Le 6 septembre 2018 dans le cycle de conférences sur le thème de l' Europe de la Compliance organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC), auquel associent l'École d'affaires publiques de Sciences po, le Département d'économie de Sciences po, l'École doctorale de droit privé de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) et l'École de droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I),  s'est tenue la conférence autour des vertus de la Compliance.

Pierre Sellal a traité ce thème  dont Monique Canto-Sperber avait opéré la présentation d'une façon générale, en appliquant cette  perspective des "vertus de la Compliance" à  regard de l'idéal et du projet européen, en montrant que les déficits dont l'Europe souffre peuvent être palliés par un Droit de la Compliance proprement européen, en train de se construire.

C'est à ces deux contributions que Didier Martin a réagi. 

Comme les nombreuses personnalités qui y ont pris la parole et la prendront dans les prochaines conférences, l'on a vocation à retrouver sa contribution dans l'ouvrage qui sera publié dans la Série Régulations & Compliance sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche aux Éditions Dalloz.

En s'appuyant sur l'intervention introductive de Monique Canto-Sperber et la conférence principale de Pierre Sellal, Didier Martin a mis en valeur le rôle des entreprises privées, en ce que celles-ci peuvent être vertueuses. 

 

Lire ci-dessous une présentation détaillée et commentée de l'intervention de Didier Martin. 

Après avoir écouté et l'intervention de Monique Canto-Sperber et l'intervention de Pierre Sella, Didier Martin!footnote-118 retire comme première impression qu'aujourd'hui Aristote serait donc un auteur plus important à relire et à avoir un tête, voire à suivre, que Kant.

Suivant en cela Pierre Sellal, Didier Martin souligne qu'en Europe et sur le fond, il n’y a pas tout ou rien. Quand on regarde  par exemple l’application des règles sur la lutte contre la corruption en prenant deux exemples récents, en France et en Hollande, les autorités de poursuite ont pu discuter directement et indirectement  avec le Department of Justice (DoJ) américain alors même que les États-Unis avaient commencé une procédure contre les entreprises européennes. Le DoJ a accepté que ces procédures soient menées en France et aux Pays-Bas.

Il convient donc de ne pas présenter comme on le fait souvent les États-Unis et l'Europe dressés l'un contre l'autre. Et, même si l'on est petit, l'on peut n'être pas  misérable, et le concert international peut exister.

Didier Martin a repris le thème général en se demandant si tout de même rapprocher "Vertu" et "Compliance" ne relevait pas de l'oxymore....

En effet, les entreprises ont vécu la Compliance comme une contrainte. L'on peut certes considérer que la Compliance correspond aux "effets vertueux" des crises et des scandales en ce qu'elle prend la forme d'un contrôle renforcé des risques, d'élaboration de règles pour que l’on ne les reproduise pas à l'avenir.

La Compliance se définit alors comme un ensemble de mécanismes obligeant les entreprises à s’organiser pour éviter que les risques ne se reproduisent. Dans cette perspective et pour un certain nombre, la Compliance est alors de nature administrative, une contrainte qui ne fait pas partie de la stratégie de l’entreprise. La Compliance n'est pas considérée comme un sujet stratégique par  les administrateurs.

Mais l'on mesure aujourd'hui l'effet réputationnel de la Compliance. Au-delà des dispositions juridiques et techniques propres aux informations extra-financières, les entreprises mesurent ces enjeux et certaines conçoivent qu'elles peuvent faire plus.

En Droit, les entreprises, lorsqu'elles sont dans le domaine du " comply or explain " doivent dire si elles font ou si elles ne font pas mais elles n'ont pas de contrainte de faire c'est le propre de ce qui relève de l'initiative facultative à la différence de ce qui est imposé en obligations et informations pour  l'activité économique et financière proprement dite. 

Ainsi, si les entreprises font état de tous les efforts qu’elles font (contre le travail d’enfant, pour l'environnement, etc.), il est clair que ces entreprises ont alors un intérêt très fort à avoir un comportement vertueux. L’aspect réputationnel est très important.
Il y a donc aussi dans cette Compliance un effet d’apparence, lorsque l’entreprise veut donner un miroir grossissant par rapport à ses efforts. Ce faisant, l'entreprise en complément de la maîtriser des risques, sociaux ou environnementaux, met en avant ses efforts supplémentaires. L'objectif est de convaincre l'investisseur et le consommateur.  

Didier Martin souligne que dans cette perspective, qui corrobore à la fois le cadre de philosophie morale classique et l'évolution européenne en cours, l'on peut situer la loi PACTE. 

En effet, celle-ci insère dans le système juridique français une définition de l'objet de la société élargi à la défense de l'intérêt des parties prenantes. Certains s'en alarment mais c'est une définition que l'on connait bien et s'il est vrai qu'on ne la retrouve pas dans les conceptions américaines au niveau fédéral aux États-Unis, dans de nombreux États le souci des stakeholders est intégré dans l'objet de la société. Didier Martin fait d'ailleurs référence au projet d'Elizabeth Warren qui voudrait que par une loi fédérale toute les sociétés deviennent accountable d'un tel souci.

Développant ce point, Didier Martin rappelle que l'objet principal de l’entreprise est la création de valeur. Mais pour que les grandes entreprises ne se retrouvent pas confrontées avec un souci de bien commun qui les mettent en situation d'aporie, elles doivent prendre en considération ce bien commun.

Dès lors et rejoignant en cela les propos de Pierre Sellal, Didier Martin estime que ce qui va différencier les entreprises qui ont une Compliance véritablement internalisée (conciliation de la création de valeur avec le bien général) est l’état d’esprit avec lequel cette Compliance va être mise en œuvre.

Aux États-Unis, c'est l'affaire Enron qui a fait basculer non seulement les règles mais l'état d'esprit dans lequel elles doivent être appliquées!footnote-117. En effet, Enron était une entreprise "modèle", puisque transparente et dotée d'administrateurs indépendants. Elle n'était pourtant que mensonges et fausses informations.  Ce cas, qui déclencha l'adoption de la loi Sarbanes-Oxley, montra que la Compliance si elle n’est qu’un process, ne peut pas permettre que l’entreprise soit conforme à l’objectif de conciliation de la création de valeur et de l’intérêt commun.

Pour qu'il y ait une telle conciliation, il faut deux éléments complémentaires : en premier lieu, pour que les sanctions soient craintes, le montant n’est pas le plus important, mais le fait que l’entreprise ait l’impression que la détection se fasse de plus en plus facilement. En second lieu, les actionnaires peuvent jouer un rôle dans le fait de convaincre les directions d’entreprise que ces éléments sont importants, que ce respect est attendu des investisseurs.

Cela est aujourd'hui repris dans les entreprises françaises, notamment à travers les mécanismes de Responsabilité sociétale, car ce qui est attendu de la Compliance renvoie avant tout à de l'extra-financier. 

C'est-à-dire à la morale et à de la vertu. 

__________

 

1

Merci beaucoup à Alexandre Kölher d'avoir pris des notes à partir desquelles ce article de compte-rendu a été rédigé. 

2

V. par ex. Frison-Roche, M.A. , Les leçons d'Enron2003. 

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