21 juin 2016

Sur le vif

Le 17 juin 2016, l'avocat général devant la Cour d'appel de Versailles a présenté son réquisitoire devant les juges de la Cour d'appel de Versailles.

Sur le fond, le Ministère public a demandé la confirmation par la Cour d'appel de la condamnation du trader pour les infractions commises mais a demandé à ce que la banque, qui s'est portée partie civile, soit déboutée de l'ensemble de ses demandes formées contre l'auteur.

Pour le Ministère public, on peut bien reprocher au trader de nombreuses fautes pénales : abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données informatiques. En effet, Jérôme Kerviel avait détourné plusieurs milliards en jouant sur des écritures, manipulations masquées par des données falsifiées.

Son employeur, la Société Général, demandait donc réparation.

Le Ministère public l'exclut : il considère que la banque a elle-même commis une faute.

Non pas une faute pénale, mais une faute civile. Une faute civile constituée par un manquement objectif. Un manquement objectif pour n'avoir pas empêcher que le dommage lui advienne. Comme d'autres dommages. Comme la crise financière. Ou le chômage.

La faute civile imputée à la banque serait donc constituée par un "manquement".  L'avocat général s'est exprimé en ces termes : "Par ses manquements répétés ... et ses défaillances de contrôle ..., elle a  indéniablement rendu possible ou facilité la réalisation de la fraude et son développement ». Il ajoute que c'est la banque qui  "a entraîné les lourdes conséquences financières de cette fraude.".

Pour le Ministère public, la banque est donc elle-même à l'origine du dommage qu'elle a subi (fait générateur, causalité et dommage). Cela n'est concevable que parce qu'elle porte le poids du bien commun et des défaillances du système en son entier. L'avocat général affirme en effet que  " Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Elles représentent l’un des instruments les plus importants de l’État pour la mise en œuvre des politiques économiques et monétaires. En conséquence, leurs décisions, leurs prises de risque doivent être en permanence appréciées, contrôlées et maîtrisées. Les crises financières, ravageuses pour l’économie, l’emploi, la société, ont souvent révélé des défaillances dans les procédures d’évaluation et de contrôle".

Plus encore, l'avocat général considère que le rejet de toute indemnisation par la banque qui se considérait pourtant comme la victime de celui dont personne ne nie les actes délictueux " pourrait être un message fort donné aux établissements bancaires pour éviter qu’à l’avenir de tels faits puissent se reproduire".

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Le temps de la compliance arrive ...

A écouter un tel réquisitoire, le mot technique a rarement été si bien choisi, l'on constate que :

  • les banques sont visées en tant que le magistrat les perçoit comme "toutes puissantes", tandis qu'il perçoit l’État lui-même comme impuissant
  • il en résulte un transfert de "responsabilité", dont la banque paie ici le prix. Est-il raisonnable ?
  • Il s'agit de "donner une leçon" : les autres banques "de premier plan" doivent comprendre. Il s'agit sans doute des banques systémiques. La puissance a donc pour conséquence une obligation très lourde de tenir le système sans défaillance. Est--ce raisonnable ?
  • Le "message", c'est-à-dire la leçon, du nouveau maître qu'est le procureur, est l'obligation d'un contrôle interne qui ne faillit pas. Car c'est le manquement qui fait la faute.
  • Le temps de la compliance est arrivé.

 

20 juin 2016

Sur le vif

On ne sait guère comment "réguler Internet" ...

Puisqu'il existe un continuum entre l''Ex Ante et l'Ex Post dans les Régulations, l'Ex Post étant de plus en plus entre les mains du Régulateur et lui permettant d'assurer l'effectivité des prescriptions qu'il a lui-même élaborés en Ex Ante!footnote-36, , les esquisses de solution se recherchent dans l'Ex Post.

Dans l'Ex Ante, on cherche à rendre les algorithmes "loyaux".

Tandis qu'on espère que les machines seront là où l'on doit placer sa "confiance" et là où l'on peut exiger de la "loyauté", l'on en revient à l'idée qu'il faudrait peut-être "prendre au sérieux la responsabilité".

Le père californien d'une victime du massacre du Bataclan du 13 novembre 2015 à Paris a assigné le 14 juin 2016 Google, Facebook et Twitter devant un tribunal américain en vue d'engager leur responsabilité..

La dispute juridique est claire et nette.

Le demandeur fonde sa prétention à imputer le dommage sur l'usage que le groupe terroriste fait de ses outils : "The suit claims the companies "knowingly permitted" the Islamic State group, referred to in the complaint as "ISIS," to recruit members, raise money and spread "extremist propaganda" via their social-media services".

Les défendeurs ont dès le lendemain répondu à l'unisson qu'ils ont au contraire des "politicies" très actives contre les activités terroristes et travaillent à rendre les lois en la matière plus efficaces.  L'autorégulation et l'éthique contre le droit commun de la responsabilité.

Et de rappeler aussi qu'ils ne sont pas éditeurs et qu'on ne peut leur imputer les messages diffusés. Mais ici, cela n'est pas le sujet. En effet, le grief porte sur l'usage du réseau non pas comme mode de transport et diffusion de messages mais comme mode de recrutement des assassins, de communication entre eux et de préparation de l'acte criminel, ce à propos de quoi quoi la loi exclut pas la responsabilité des entreprises.

Il conviendra donc de "prendre au sérieux" cette hypothèse, si l'on veut bien considérer que le cas n'est pas visé et que l'irresponsabilité de telles entreprises qui plaident pour leur "neutralité" ne doit être que l'exception et non le principe.

La question de principe est la suivante : le principe est-il l'irresponsabilité de ceux qui tiennent l'espace numérique ?

Dans ce cas, il faut étendre leur irresponsabilité à un cas non visé par la loi. Si cela n'est pas le cas, il faut en revenir au principe général de la responsabilité. En exigeant la suite de la démonstration, notamment la causalité, le dommage, etc.

 

29 octobre 2015

Thesaurus : Doctrine

Référence complète : Supiot, A., et Delmas-Marty, M. (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015,  424 p.

Lire la 4ième de couverture.

Consulter la table des matières.

Consulter l'introduction d'Alain Supiot.

 

16 janvier 2015

Sur le vif

En lisant la presse, par exemple Les Echos du 16 janvier 2015, on apprend que Standard & Poors vont signer un accord de 1 milliard $ avec l'administration américaine pour éviter un procès.

On ne peut qu'être étonné, voire contrarié.

En premier lieu, l'accord n'est pas encore conclu. Il le serait dans un ou deux mois. Comment se fait-il qu'on le connaisse déjà ? En deuxième lieu, les contrats, car la transaction est un contrat, répertorié par le Code civil, qui n'a pas vocation à être public. Comment se fait-il qu'on en sache déjà tout ? La personne qui a donné l'information "a tenu à garder l'anonymat". On s'en doute ...

En troisième lieu, il est vrai que la régulation des agences de notation est un vaste sujet. Des textes spéciaux ont été pris mais la doctrine juridique a estimé que le droit manquait encore d'outils et que c'était sans doute la responsabilité civile, instrument juridique générale, qui était le plus approprié.

Mais l'engagement de la responsabilité suppose un procès, des preuves, le respect des droits de la défense, de respect des textes. Ici, 1 milliard $ est versé par l'entreprise pour éviter que s'ouvre à son encontre un procès pour que soit allégué contre elle le fait qu'elle aurait sous-évalué le risque des subprimes. Mais d'une part chacun se dit que l'agence de notation l'a bel et bien fait puisqu'elle paie afin que le dossier ne s'ouvre pas. D'autre part, et dans une perspective de régulation, l'information qui serait sortie du procès, un procès étant une forme de crise, ne sortira pas.

Ainsi, l'industrie des "deals de justice", en dehors du fait que certains qualifient le phénomène de "racket", ne constitue pas une "dépénalisation" de la régulation pour le "civiliser" grâce au contrat de transaction. Au contraire, ce mouvement qui se généralise est un accroissement de la répression qui fait aujourd'hui l'économie des droits de la défense pour l'opérateur et des informations pour le secteur.

On ne peut qu'en être contrarié.

22 octobre 2014

Thesaurus : 02. Union européenne

17 septembre 2013

Thesaurus : Doctrine

Référence complète : Viney, Geneviève, L'influence du principe de précaution sur le droit de la responsabilité civile à la lumière de la jurisprudence : Beaucoup de bruit pour presque rien, in Mélanges en l'honneur de Gilles B. Martin (Racine, Jean-Baptiste, dir.), Pour un droit économique de l'environnement, éd. Frison-Roche, 2013.

Mise à jour : 6 février 2012 (Rédaction initiale : 6 février 2012 )

Thesaurus : Doctrine

Leçon sur la responsabilité civile du fait d'une pratique anticoncurrentielle