28 juin 2019

Sur le vif

Il est souvent observé, voire théorisé, voire conseillé et vanté, que la Compliance est un mécanisme par lequel des Autorités publiques internalisent des préoccupations politiques (par exemple environnementales) dans des entreprises de grande dimension, celles-ci l'acceptant dès le départ (en Ex Ante) car elles sont plutôt d'accord avec ces "buts monumentaux"  (sauver la planète) et que cette vertu partagée est bénéfique à leur réputation. L'on observe que cela pourrait être la voie la plus fructueuse dans les configurations nouvelles, comme celle du numérique

Mais, et l'on a souvent rapproché le Droit de la Compliance du mécanisme contractuel, cela n'est pertinent que si les deux intéressés le veulent bien. Cela est vrai techniquement, par exemple pour la Convention judiciaire d'intérêt public, laquelle requiert consentement explicite. Cela est vrai d'une façon plus générale en ce que l'entreprise voudra bien se structurer pour réaliser les buts politiquement poursuivis par l'État. Réciproquement, les mécanismes de compliance fonctionnent si l'État veut bien admettre les logiques économiques des acteurs globaux ou/et, s'il y a possibles manquements, ne pas poursuivre ses investigations et fermer le dossier qu'il a entrouvert, à un prix plus ou moins élevé.

Mais il suffit de dire Non.

Comme en matière contractuelle, la première liberté est négative et tient dans l'aptitude de dire Non.

L'Etat peut le faire. Mais l'entreprise aussi peut le faire.

Et Daimler vient de dire Non. 

 

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Publiquement, notamment par le biais d'un article dans le Wall Street Journal du 28 juin 2019. 

L'entreprise expose dans un avertissement au marché (warning profit) qu'elle est l'objet d'une exigence de la part de l'Autorité allemande de la sécurité automobile d'une allégation de fraude, par l'installation d'un logiciel, visant à tromper les instruments de mesure des émissions des gazs à effet de serre sur les voitures utilisant du diesel.

Il s'agit donc d'un mécanisme de Compliance à visée environnementale qui aurait été contrée, d'une façon intentionnelle. 

Sur cette allégation, le Régulateur à la fois avertit l'entreprise de ce qu'elle considère comme un fait, c'est-à-dire la fraude au dispositif de Compliance, et l'assortit d'une mesure immédiate, à savoir le retrait de la circulation de 42.000 véhicules vendus par Daimler avec un tel dispositif.

Et l'entreprise répond : "Non".

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Ce qui ne fait sans doute que commencer, puisqu'un Non clôt le dialogue de l'Ex Ante pour projeter dans l'Ex Post des procédures de sanction, appelle 6 observations :

 

  • 1. Sans doute Daimler, entreprise allemande de construction automobile, a-t-elle en tête dans cette allégation de fraude au calcul de pollution de ses voitures diesel ce qu'il arriva à sa concurrente Volkswagen : à savoir plusieurs milliards de dollars d'amende, pour défaut de Compliance dans une hypothèse similaire (dite du dieselgate). Le choix stratégique qui est alors fait dépend de l'éducation par l'expérience de l'entreprise, qui bénéficie à ce titre d'un cas précédent qui a eu un coût très important. Ainsi instruite, la question qui se pose est de mesurer le risque pris à refuser toute coopération, quand l'entreprise peut pressentir que celle-ci aboutira tout de même à un tel montant....

 

  • 2. Par ailleurs, l'on retrouve la difficulté de la distinction de l'Ex Ante et de l'Ex Post. En effet, certes, dire Non va impliquer pour l'entreprise un coût d'affrontement avec le Régulateur, puis les juridictions, périphériques ou de recours. Mais en Allemagne, le Gouvernement lui-même, à propos d'une banque menacée de poursuites au titre de la Compliance et quasiment sommée par le Régulateur américain de payer "de son plein gré" de payer une amende transactionnelle, avait estimé que cela n'était pas normal, car cela doit être les juges qui punissent, au terme d'une procédure contradictoire et après des faits établis.

 

  • 3. Or, il ne s'agit ici que d'une allégation, d'affirmations vraisemblables, de ce qui juridiquement permet de poursuivre, mais qui ne permet pas de condamner. La confusion entre la charge de preuve, qui suppose l'obligation de prouver les faits avant de pouvoir sanctionner, et la charge de l'allégation, qui ne suppose que d'articuler des vraisemblances avant de pouvoir poursuite, est très dommageable, notamment si l'on est attaché aux principes du Droit répressif, comme la présomption d'innocence et les droits de la défense. Cette distinction entre ces deux charges probatoires est au coeur du système probatoire, et le Droit de la Compliance, toujours à la recherche de plus d'efficacité, a tendance à passer de la première à la seconde, pour donner plus de pouvoir aux Régulateur. Puisque les entreprises sont si puissantes ....

 

  • 4. Mais la question première apparaît alors : quelle est la nature non plus tant de la mesure future à craindre, à savoir une sanction qui pourrait prise plus tard, contre Daimler, si le manque s'avère, ou qui ne le sera pas si le manquement n'est pas établi ; mais quelle est la nature de la mesure immédiatement prise, à savoir le retour de 42.000 véhicules ?

 

  • Cela peut paraître une mesure Ex Ante. En effet, la Compliance suppose des voitures non-polluantes. Le Régulateur peut avoir des indices selon lesquels que ces voitures sont polluantes et que le constructeur n'a pas pris les dispositions requises pour qu'elles le soient moins (Compliance), voire s'est organisé pour que ce manquement ne sont pas détecté (fraude à la Compliance).

 

  • Cette allégation permet de penser qu'il y a un risque qu'elles le soient. Il faut donc immédiatement les retirer de la circulation, pour la qualité de l'environnement. Ici et maintement. La question des sanctions se posera après, avoir son appareillage procédural de garanties pour l'entreprise qui sera poursuivie. Mais voyons cela du côté de l'entreprise : devoir retirer 42.000 véhicules du marché constitue un grand dommage et ce que l'on appelle volontiers en Droit répressif une "mesure de sûreté" prise alors que les preuves ne sont pas encore réunies pourrait mériter une requalification en sanction. La jurisprudence est à la fois abondante et nuancée sur cet enjeu de qualification.

 

  • 5. Alors, retirer ces voitures, c'est pour l'entreprise admettre qu'elle est coupable, accroître elle-même la punition. Et si à ce jeu, que l'on appelle aussi le "coût-bénéfice", autant pour l'entreprise affirmer immédiatement au marché que cette exigence du Régulation est infondée en Droit, que les faits allégés ne sont pas constitués, et que de tout cela les juges décideront. L'on ne sait pas davantage si ces affirmations de l'entreprise sont exactes ou fausses mais devant un Tribunal personne ne pense qu'elles valent vérité, elles ne sont que des allégations. Et devant une Cour, un Régulateur apparait comme devant supporter une charge de preuve en tant qu'il doit défendre l'ordre qu'il a émis, prouver le manquement dont il affirme l'existence, ce qui justifie l'exercice qu'il fait de ses pouvoirs. Le fait qu'il exerce son pouvoir pour l'intérêt général et en impartialité ne diminue pas cette charge de preuve.

 

  • 6. En disant "Non", Daimler veut retrouver ce Droit classique, si mis de côté par le Droit de la Compliance, à base de charge de preuve, moyen de preuve, et interdiction de mesures punitives - sauf dommages imminents et très graves - avant qu'un comportement a été sanctionné au terme d'une procédure de sanction. 
  • Certes, l'on serait tenté de faire une analogie avec la situation de Boeing dont les avions sont cloués au sol par le Régulateur en ce que celui-ci estime qu'ils ne remplissent pas les conditions de sécurité, ce que l'avionneur conteste, mesure Ex Ante qui ressemble à la mesure de rétraction du marché que constitue la demande de rappel des voitures ici opérée.
  • Mais l'analogie ne fonctionne pas sur deux points. En premier lieu, l'activité de vol est une activité régulée que l'on ne peut exercer que sur autorisation Ex Ante de plusieurs Régulateurs, ce qui n'est pas le cas pour le fait de proposer à la vente des voitures ni de rouler avec. C'est là où le Droit de la Régulation, qui souvent se rejoignent, ici se distinguent. En second lieu, la possibilité même que des avions dont il ne soit pas exclu qu'ils ne soient pas sûr est suffisant pour, par précaution, interdire leur décalage. Ici, ce n'est pas la sécurité des personne qui est en jeu, et sans doute pas même le but global de l'environnement, mais la fraude vis-à-vis de l'obligation d'obeïr à la Compliance. Pourquoi obliger au retrait de 42.000 véhicule ? Si ce n'est pour punir ? D'une façon exemplaire, afin de rappeler par avance et à tous ce qu'il en coûte de ne pas obéir à la Compliance ? Et là, l'entreprise dit : "je veux un juge". 

 

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Mise à jour : 19 décembre 2011 (Rédaction initiale : 8 septembre 2011 )

Analyses Sectorielles

Translated Summaries


ENGLISH

In 2010, the Autorité française de régulation des jeux en ligne (ARJEL — French Online gambling regulatory authority) decided that operators should have required all players to open an account even before they had been approved by the ARJEL to provide online gambling services, that all players should have been required to accept the general conditions of sale before their first bet, and that operators should have saved this information in a real-time archival format.


Account - Appeal - Appeal right - Data - Food - General power - Incoherence - Independence - Information - Legal mandate - Licence - Money laundering - Procedure - Real-time storage -Registration - Regulator - Sanction commission - Surveillance *

* In The Journal of Regulation, these keywords are done by the Editor and not by the Author.



FRENCH

En 2010, l’autorité française de régulation des jeux en ligne (ARJEL) estime qu’un opérateur aurait du exigé de tous les joueurs qu’ils ouvrent un compte avant son propre agrément par le régulateur, et que les joueurs acceptent les conditions générales de vente avant leur première mise, ces informations devant être insérées par l’opérateur sur le support d’archivage en temps réel. Ainsi, l’antériorité est acquise, cette certitude évitant toute manipulant et l’opérateur pouvant ainsi surveiller, comme le prévoit la loi, les joueurs, notamment au titre de la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent.

 

 

* In The Journal of Regulation, these keywords are done by the Editor and not by the Author.

 

Informe temático (el Juego): La Comisión Disciplinaria del ARJEL decidió que no era competente para sancionar a un operador aunque el Presidente del ARJEL las haya pedido. El Presidente del ARJEL ha apelado la decisión


En 2010, la Autorité française de régulation des jeux en ligne (ARJEL – el Regulador francés del juego en la red) decidió que todos los operadores deben requerir que todos los jugadores abran una cuenta aun antes de que hayan sido aprobados por ARJEL para proveer servicios de juego en la red, que todos los jugadores deben haber aceptado las condiciones generales antes de su primera apuesta, y que los operadores debieran haber guardado esta información en formatos actualizados.

 

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Other translations forthcoming.

Mise à jour : 8 décembre 2011 (Rédaction initiale : 20 septembre 2011 )

Analyses Sectorielles

Translated Summaries


ENGLISH

A Chinese company issued shares on American exchanges, and was subsequently the subject of a Securities and Exchange Commission (SEC) investigation. The company’s auditor concomitantly revealed frauds it had discovered during its review of the company’s accounts. The SEC sued the auditor on May 27, 2011 in order to force it to communicate the documents it held. The auditor refused, arguing that Chinese criminal law prohibited the revelation of such documents. The SEC filed a motion in Federal Court to compel the auditor to comply with its request on September 6, 2011.

 

FRENCH

Une société chinoise lève des fonds aux Etats-Unis, puis fait l’objet d’une enquête de la part du régulateur financier nord-américain. Parallèlement, l’auditeur de la société dénonce des fraudes qu’il a découvertes par l’examen des comptes. La SEC assigne l’auditeur le 27 mai 2011 pour obtenir communication des documents qu’il détient. L’auditeur refuse, arguant de l’interdiction par le droit pénal chinois qui prohibe. La SEC saisit le 6 septembre 2011 le juge fédéral pour que celui-ci contraigne l’auditeur.

 

SPANISH

Informe Temático (Finanza): el regulador financiero americano presentó una moción para obligar ante una Corte Federal a un auditor para que revele documentes concerniendo una compañía china que había auditado, aunque la revelación de dicho documente es prohibido por la ley china.


Una compañía china emitió acciones sobre intercambios americanos, y fue subsecuentemente el sujeto de una investigación del Security and Exchange Commission (SEC). El auditor reveló fraude que había descubierto durante su revisión de las cuentas de la compañía. El SEC demandó al auditor el 27 de mayo del 2011 para forzarlo a comunicar documentos en su posesión. El auditor se rehusó, argumentando que el derecho criminal chino prohibía la revelación de dichos documentos. El SEC presentó el 6 de septiembre del 2011 una moción en la Corte Federal para obligar al auditor a obedecer estas órdenes.

 

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Other translations forthcoming.

Mise à jour : 3 octobre 2011 (Rédaction initiale : 26 septembre 2011 )

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Mise à jour : 13 septembre 2011 (Rédaction initiale : 7 septembre 2011 )

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