14 avril 2018

Sur le vif

Ce qui s'est passé lors de la conférence du 12 avril 2018, dans le cycle de conférences du JoRC "Pour une Europe de la Compliance"

Charles Duchaine dessine l'avenir de la Compliance en Europe : à la fois autonome des Etats-Unis et articulée avec la Compliance américaine

par Marie-Anne Frison-Roche

Le cycle de conférences organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) a pour thème général Pour une Europe de la Compliance : tout un programme ! et chaque orateur qui, de conférence en conférence, prend la parole doit non pas tant la décrire mais bien plutôt l'imaginer car "L'Europe de la Compliance" est devant nous : c'est un projet, une réalité à construire, à partir de quelques points d'accroche que l'on peut déjà repérer et qu'il faut favoriser.

De la même façon que dans sa conférence inaugurale le président de la Cour de Justice de l'Union européenne Koen Lenaerts sur Le rôle du juge et de la Cour de Justice dans l'Europe de la Compliance a fait vivre ce que sera cette Europe où la personne sera protégée par les mécanismes juridiques de la Compliance, parce que la personne a toujours été le coeur de l'Europe, le directeur général de l'Agence France Anticorruption  a dessiné ce que sera l'Europe de la Compliance entre les Institutions. 

En écoutant Charles Duchaine, l'on a compris que le Droit de la Compliance ne peut se construire que d'une façon ouverte.

- un Droit de la Compliance construit d'une façon ouverte entre les institutions européennes et les institutions américaines.

- un Droit de la Compliance construit d'une façon ouverte entre les institutions administratives et institutions juridictionnelles, facilité par le fait que Charles Duchaine est, conformément à la lettre de la Loi dite Sapin 2, un magistrat de l'ordre judiciaire, ce qui permet un lien plus facile avec notamment les magistrats du ministère public.

- un Droit de la Compliance construit d'une façon ouverte entre les agences en charge de la Compliance et les professions, non seulement les Auditeurs comme cela est ressorti de l'intervention d'Olivier Salustro et de la discussion qui s'en est suivie avec Charles Duchaine, mais encore entre l'Agence Française Anticorruption et les barreaux, comme cela est apparu des débats qui ont suivi l'intervention de l'orateur. 

 

Charles Duchaine a tout particulièrement insisté sur le fait qu'en Europe le Droit de la Compliance s'est développé certes en réaction au Droit américain mais aussi  d'une façon autonome par rapport à celui-ci!footnote-97

L'Europe ne pouvait pas ne pas "réagir" face à un Droit américain dont les effets sont extraterritoriaux et brutaux, mais de cela il ne faut pas s'étonner car si la Compliance développe une méthode "douce" de coopération entre les régulateurs et les opérateurs, elle développe aussi une méthode "dure", qui est celle de la répression et du contrôle. Or, le Droit français est remarquable en ce qu'il a organisé par la loi "Sapin 2" non seulement une "réaction" à l'emprise du Droit américain sur le monde mais encore mis en place un système nouveau, puisqu'il permet un contrôle Ex Ante de l'efficacité des structures internes des entreprises, sans même qu'il y ait un comportement blâmable au sein de celles-ci. 

Charles Duchaine a explicité les "raisons" pour lesquelles cette législation si particulière visant à lutter en Ex Ante contre la corruption, en internalisant le dispositif de répression dans les entreprises, a été adoptée. Non seulement un souci renouvelé et partagé de "probité", dont la lutte contre la corruption n'est qu'un exemple, mais encore le fait que des comportements que les Etats européens auraient pu sanctionner ne l'ont pas été, en matière sportive notamment, ce qui a justifié des interventions des Autorités américaines, à propos de la FIFA par exemple. De la même façon, la Convention de Mérida constitue pour la France une obligation internationale de lutter contre la corruption. Or, le système français était de fait trop peu actif et il était peu craint, les opérateurs ne craignant finalement que les sanctions et les autorités américaines. Là encore, il fallait "réagir".

Ainsi, à écouter l'orateur, parfaitement bien placé pour raconter l'histoire du Droit de la Compliance, puisqu'il la construit lui-même, c'est un Droit qui s'est construit sur un diagnostic, à savoir une crainte des entreprises vis-à-vis du seul Droit américain et une réaction du Droit français pour qu'il en devienne de même à son égard. C'est à son égard un sain effet de la "concurrence entre systèmes normatifs" dont on nous dit toujours qu'il mène toujours à moins-disant répressif...

Au contraire et ce sentiment a été renforcé par la suite de l'exposé de Charles Duchaine, lorsque celui-ci a anticipé les perspectives européennes de la Compliance.

Dans la projection que l'orateur a faite de ce que doit être et sera "l'Europe de la Compliance", il a indiqué que l'Europe doit se renforcer en tant que telle dans ses mécanismes de lutte contre la corruption, c'est-à-dire demander des comptes à tous les opérateurs, non seulement privés mais encore publics, non seulement européens mais encore non-européens. Pour cela, il est besoin non seulement de règles communes mais encore des forces d'investigations car le Droit de la Compliance est un Droit efficace s'il repose sur des techniques probatoires efficaces, notamment d'enquête. Le Droit américain a développé cela, le Droit européen doit le faire.  

Par ailleurs, et cela n'est en rien contradictoire au contraire, dès l'instant que l'Europe se met à exister d'une façon autonome en matière de Compliance, la coopération peut se mettre en place entre l'Europe et les États-Unis. Cela peut notamment se faire directement entre les Autorités, notamment entre le DOJ et l'AFA. Se dessine ainsi un maillage, entre les autorités européennes d'une part, par exemple les britanniques et les françaises et les autorités européennes et américaines d'autre part.

C'est ainsi qu'une Compliance entre Autorités et Entreprises peut se mettre en place mondialement, notamment sur un mode Ex Ante.

 

 

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Merci beaucoup à Monsieur Alexandre Kolher d'avoir pris des notes ayant servi de base de base à ce présent article. 

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