14 janvier 2016

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Crise

par Marie-Anne Frison-Roche

ComplianceTech©

Une crise désigne un dysfonctionnement inattendu et destructeur d’une organisation. Sur un marché ordinaire de biens et services, les crises sont internes aux entreprises, par exemple par le jeu de conflits sociaux, et peuvent même aboutir à la disparition de l’entreprise. Mais, cela n’aboutit pas à une crise du marché car la crise interne de l’entreprise ne se communique pas au marché. C’est pourquoi les théories du marché n’ont pas besoin d’appréhender le fonctionnement interne des entreprises qui sont ainsi volontairement désignées, en raison même de cette indifférence, comme des « boîtes noires ». En effet, une faillite d’entreprise sur un marché ordinaire montre le dynamisme du marché puisque ce sont les entreprises faibles et inadaptées qui sont éliminées au bénéfice des entreprises innovantes, poussant des tiers plus dynamiques à entrer sur le marché pour prendre la place, selon le schéma de la destruction créatrice de Schumpeter et que le droit de la concurrence avalise. Ainsi, la crise, non seulement n’est pas un problème pour le marché ordinaire mais a supposer même qu’on s’en soucie, elle constitue un signe de bon fonctionnement.

Il en est tout différemment en cas de fonctionnement systémique dans des secteurs particuliers. Le cas le plus connu est celui des marchés bancaires et financiers. En effet, si les investisseurs commencent à perdre confiance  dans les intermédiaires, principalement dans les banques par un effet auto-réalisateur, le marché commence à s’effondrer, ce qui conduit les investisseurs, confortés dans leur peur, à retirer leurs avoirs et à réaliser l’effondrement total du marché par un effet domino qui détruit l’ensemble du système. Par la globalisation des marchés financiers et bancaires, aujourd’hui réalisée par la dématérialisation des titres et la technologie, la crise systémique est mondiale. Les régulateurs bancaires et financiers ont donc comme premier office de lutter contre la crise en premier lieu pour la prévenir, par l’information, la transparence et la protection de l’investisseur, en deuxième lieu pour la gérer, par le soutien des opérateurs défaillants et la sanction des opérateurs coupables, et en troisième lieu pour sortir de la crise, par la restauration de la confiance des opérateurs dans les marchés.

Mais il ne faut pas limiter cette prévalence de la crise dans le système de régulation aux seuls marchés bancaires et financiers. En effet, deux phénomènes majeurs empêchent que des biens et services soient laissés au seul et simple schéma du marché ordinaire, c'est-à-dire en fait au seul simple droit de la concurrence.

En effet, le marché concurrentiel suppose le caractère infini de la production des biens et services dès l’instant qu’il y a de la demande d’une part, et le caractère instantané de la production et des transactions d’autre part. Or, tout d’abord, de nombreux biens et services constituent des ressources rares. Il s’agit notamment des ressources énergétiques, qui sont les premiers enjeux de l’économie mondiale. Elles sont alors l’objet nécessaire de régulation, puisqu’on ne peut pas par exemple produire du gaz ou du pétrole. L’enjeu de l’eau est encore plus important, alors même que la régulation de l’eau en est encore à ses balbutiements. De la même façon, le caractère instantané de la production et des échanges ne vaut pas dans toute l’activité agricole qui suppose l’écoulement du temps pour produire les biens, végétaux et animaux, et qui subit les aléas climatiques que l’homme ne maîtrise pas et qui, si on laisse jouer la loi du marché, entraîne un prix certes exact  mais d’une très grande variabilité (loi de King). La régulation agricole intervient alors pour lisser dans le temps les prix et rendre possible cette activité économique qui n’existe que sur des rythmes annuels ou pluriannuels, ce à quoi le schéma du marché ordinaire ne correspond pas. Si une crise agricole advient, comme la crise du prix du porc ou la crise du prix du lait, la solution est alors de se soustraire des mécanismes concurrentiels pour trouver une solution, soit par le biais des contrats pluriannuels entre producteur et revendeur soit par le biais des aides d’État alors justifiées par la crise, voire par le biais des tarifications.

On voit ainsi que la crise n’est plus une notion périphérique et bienvenue dans le modèle mais bien le souci central et permanent du modèle. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui passés du modèle concurrentiel au modèle de la régulation. Cela est notamment vrai en Europe, puisque depuis 2010 se construit notamment l'Europe bancaire, l'Union bancaire ayant pour base la régulation.

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