5 février 1999

Thesaurus : 02. Cour de cassation française

Cour de cassation, assemblée plénière

Arrêt du 5 février 1999, Oury

Lire l'arrêt.

Lire ci-dessous la présentation détaillée de l'arrêt.

Pièces jointes

L'arrêt Oury est l'arrêt fondamental par lequel la Cour de cassation a contraint l'Etat français a repensé ce qu'est un régulateur.

En effet, avant cet arrêt, en référant au critère formel, il s'agissait d'une Autorité Administrative, certes Indépendante, mais rendant des décisions administratives. Par l'arrêt Oury, le juge judiciaire impose le raisonnement européen qui part de la nature des pouvoirs et non de la forme de l'organisme.

En forme, dès l'instant que l'Autorité sanctionne, elle agit en "matière pénale". Elle est donc au regard de l'article 6, al.1 CEDH un "tribunal". Elle doit être impartiale. Son impartialité doit "se donner à voir" ("impartialité apparente") et les fonctions d'instruction et de jugement doivent être séparées.

Toutes les Autorités de régulation durent être réformées après l'arrêt Oury.
 

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Dans cette affaire, Monsieur Jean-Marc Oury opérait et offrait des placements sur le marché financier. Le régulateur de l’époque, la Commission des Opérations de bourse (COB) - qui deviendra ultérieurement l'Autorité des Marchés Financiers (A.M.F.) -, ouvrit à ce propos une enquête. Le rapporteur instruisit l’affaire puis, au terme de son instruction, décida que le cas devait être jugé par l’Autorité. Le rapporteur fut présent lors de la réunion durant laquelle Monsieur Jean-Marc Oury se défendit en présentant ses arguments, accompagné de son avocat.

Le rapporteur participa au délibéré, bien qu’il ne prit pas part au vote. Monsieur Jean-Marc Oury fut condamné pour manquement aux règles administratives et sanctionné par la COB, Autorité Administrative Indépendante.

Ces sanctions sont susceptibles d’un recours devant une chambre spécialisée de la Cour d’appel de Paris, dont les arrêts peuvent eux-mêmes être frappés d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Le Premier Président de l’époque, Monsieur Guy Canivet, sur premier pourvoi , décida de réunir l’Assemblée plénière, estima qu'il s'agissait d'une question nouvelle de principe, celle de savoir si cette façon de faire était conforme aux garanties fondamentales de procédure.

En effet, Monsieur Jean-Marc Oury soutenait qu’il avait "droit à un tribunal impartial", tel que le stipule au bénéfice de tout sujet de droit la Convention européenne des droits de l’homme. A l’inverse, il était soutenu par la COB, présente dans l'instance du recours formé contre sa décision, puis dans l'instance devant la Cour de cassation, qu’un tel texte n’est pas applicable en l’espèce, car de par la loi, la COB est une "autorité administrative" et non un "tribunal", seul organisme visé par l’article 6 de la CEDH.

La Cour de cassation, par son arrêt Oury, a raisonné de la façon suivante.
Il convient de partir de la définition de ce qu’est la «matière pénale ». Celle-ci vise toute forme de répression, que celle-ci soit exercée par un tribunal pénal ou par une autorité administrative. Ainsi, le régulateur financier qui sanctionne d’une amende un manquement aux obligations d’information, exerce une activité de répression et le juge qui le contrôle doit donc le considérer comme agissant en "matière pénale". Ainsi, c'est le fait pour l'organisme d'exercer son pouvoir en "matière pénale" qui conduit à qualifier cet organisme de "tribunal", par le jeu des qualifications concrètes de l'article 6 de la CEDH.

Pour la Cour de cassation, c'est donc le type concret d'activités de l'organisme qui implique la qualification de l'organisme. Concrètement, puisque celui-ci "sanctionne", il doit être considéré comme un "tribunal".

Puisque la COB est donc au regard de la personne poursuivie devant elle un "tribunal", peu important la qualification formelle retenue par le droit national, alors toutes les garanties de procédure attachée par l'article 6 de la CEDH à cette situation doivent bénéficier à la personne qui risque une sanction.

Ainsi en l’espèce et selon la lettre de l'article 6, Monsieur Jean-Marc Oury avait droit à un « tribunal impartial ». Or, le rapporteur avait décidé, après l'instruction qu'il avait faite du dossier, de transmettre celui-ci pour qu’il soit apprécié dans la COB, ayant pour sa part estimé qu'il existait suffisamment d'éléments à charge. Cette transmission supposait donc de sa part une opinion de commission des comportements reprochés. Dès lors, lorsque le rapporteur continua d'être présent dans la procédure, notamment  siégea durant l’audience puis  fût présent dans le délibéré, il était implicitement mais nécessairement atteint d’un préjugé.

Quand bien même il n'aurait pas pris part au vote pas, sa participation et sa crédibilité auprès des autres membres de l'organisme, du fait notamment que c'était lui qui connaissait le mieux le dossier, fait que le tribunal perd objectivement et structurellement son impartialité.

Ainsi, même si le rapporteur n'est pas personnellement, n'est pas subjectivement, en conflit d'intérêt, c'est l'organisation de l'Autorité qui rend toute la procédure de sanction objectivement partiale, puisque elle prévoit l'intervention d'un rapporteur qui prend position au début de la procédure, en décidant le renvoi (jugeant donc de la présence d'éléments de culpabilité, ce qui le conduit à "pré-juger"), puis en demeurant dans la phase de jugement, ce qui le conduit à juger avec un préjuger. Or, juger avec un préjugé, c'est être partial.
 

C’est sur le fondement d'un tel raisonnement que la Cour de cassation va approuver l’annulation de la totalité de la procédure de sanction pour violation de l’article 6 de la CEDH.

 

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Cet arrêt eut de grande conséquence puisqu’aujourd’hui toutes les Autorités Administratives Indépendantes dotées d’un pouvoir de sanction, doivent être dotées d'une "commission des sanctions", organe certes interne à l’autorité de régulation, mais autonome du collège et du président de celle-ci.

Le Conseil d'Etat  a reprend un raisonnement analogue dans son arrêt Didier.

Dans la mesure où le principe d'impartialité a valeur constitutionnelle, si cette obligation de respecter, même pour les institutions administratives françaises, cette exigence européenne "d'apparence d'impartialité", c'est-à-dire une impartialité structurelle qui paraît à l'institution en cause de "donner à voir" aux tiers d'une façon objective son impartialité, alors c'est le Conseil constitutionnel qui sanctionne l'Autorité, car le principe d'impartialité a valeur constitutionnelle.

Cela fût par exemple opéré, sur QPC, par la décision Numéricable du 5 juillet 2013.
 

 

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