10 décembre 2015
Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance
L’autorégulation désigne un système apte à définir ses équilibres par ses seules forces ou, s'il y a un dysfonctionnement en son sein, de les rétablir également par ses seules forces. Ainsi, le marché concurrentiel des biens et des services ordinaires est autorégulé. En effet, puisqu’il n’y a pas de barrières à l’entrée et qu’il y a une information sur les produits et sur les prix, associée à une mobilité des consommateurs atomisés, ceux-ci font jouer la concurrence entre les offreurs, ce fonctionnement permanent élaborant le juste prix. Si un agent fixe un prix abusivement haut, un tiers extérieur au marché entrera sur celui-ci pour proposer aux consommateurs un prix plus bas, le nouvel entrant convoitant cette rente, et les consommateurs, par nature infidèles, changeant ainsi de fournisseur.L’essentiel est donc le libre échange, l’absence de barrière à l’entrée des marchés et l’absence d’éviction d’une entreprise par une autre, laquelle étant la pratique anticoncurrentielle la plus grave. Ainsi, le droit de la concurrence repose sur le postulat d’un marché autorégulé. Dans ces conditions, ce n’est que d’une façon ponctuelle que des comportements anticoncurrentiels, ententes et abus de position dominante à titre principal, peuvent être constatés. Ils sont alors sanctionnés ex post par l’autorité de la concurrence qui, par des sanctions appropriées, en quelque sorte « répare » le marché
La régulation est conçue sur un postulat inverse puisqu’elle postule que le marché dont il s’agit n’a pas eu la force de créer ni de maintenir ses équilibres propres, soit parce que la libéralisation est trop récente, soit parce qu’il y a de façon définitive un monopole économiquement naturel, soit parce qu’il y a une asymétrie d’information,etc. Dès lors, il ne peut jamais y avoir d’autorégulation. On ne peut d’une façon plus simple et plus nette dessiner la frontière entre concurrence et régulation. Il est vrai que des autorités de concurrence ont cherché à promouvoir la notion de « régulation concurrentielle » et que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) a repris ce vocabulaire, en particulier dans l’Ordonnance du 13 novembre 2008 venue l’appliquer et portant modernisation de la « régulation de la concurrence ». En France, l’Autorité de la Concurrence a pris l'habitude d'intituler son rapport annuel "Régulation", ce qui exprime la prétention de cet organise à pratiquer ce qu'elle qualifie de "régulation horizontale"", intervenant directement dans l’organisation des structures et des comportements. Nous quittons alors la notion traditionnelle et nord américaine de régulation comme marque de libéralisme pour revenir vers la traditionnelle tendance française à l’économie administrée. Le doute vient du fait qu'aucune défaillance structurelle ne justifie une telle emprise générale.
On peut encore soutenir que la régulation peut se faire d’une façon autre que par l’ajustement des intérêts entre les offreurs et les demandeurs, non plus d’une façon exogène, notamment par des prescriptions d’ordre public de régulateur, mais par des prescriptions endogènes des acteurs, par exemple via des « codes de bonne conduite » ou des « chartes déontologiques ». Il faut alors distinguer une conception morale de l’autorégulation d’une conception sociologique de l’autorégulation. La conception morale vise l’idée que des opérateurs d’un même secteur ont intériorisé des normes de comportements qui ne sont pas naturels, mais qui leur ont été inculquées par imprégnation, par sens moral, à travers la déontologie. La déontologie met alors en avant les professions, notamment les professions libérales, en ce que celles-ci sont aptes à prendre distance par rapport aux valeurs de marché, essentiellement l’argent, pour leur préférer des valeurs morales, essentiellement la protection du faible, ou bien celle de l’environnement, ou encore le souci des générations futures. Les autorités de concurrence récusent la pertinence de cette autorégulation déontologique, revendiquée notamment par les professions libérales comme celle des avocats. La Commission européenne notamment en les soumettre au droit ordinaire des entreprises sur un marché concurrentiel du droit. Nous vivons aujourd’hui à la fois une certaine désespérance face à la prétention de l’autorégulation déontologique, car les banques prétendaient s’y adonner et les informations apportées par la crise financière conduisent à prendre quelque distance par rapport à ce discours, tandis qu’en même temps on nous appelle à un renouveau de ce sens moral dans les affaires et dans le capitalisme.
Enfin, l’autorégulation peut être de type sociologique lorsqu’un secteur est composé de personnes qui se connaissent toutes, qu’elles travaillent dans les entreprises, dans l’administration ou chez le régulateur. Le cas est d’autant plus répandu que cela correspond à l’organisation de la société en réseau. Il s’agit effectivement d’une autorégulation par effet de club. Le danger de cette autorégulation n’est plus alors dans le risque d’un faux discours moralisateur mais dans celui d’une compromission presque inconsciente du régulateur, ainsi capturé, par habitude ou par amitié. Le système de régulation doit alors là aussi chercher à briser cette autorégulation, dangereuse pour l’impartialité du régulateur.
10 janvier 2015
Analyses Sectorielles
Dès l'instant que la régulation suppose l'indépendance de l'opérateur qui gère l'infrastructure essentielle, les conditions ex ante de cette indépendance doivent être réunies.
L'Europe n'exige pas une autonomie juridique du gestionnaire de l'infrastructure essentielle, sans doute exiger une telle autonomie, ce serait à la fois trop demander au Politique, qui peut vouloir des organisations plus intégrées dès l'instant que s'y mêlent des politiques publiques et qu'y sont employés des fonds publics. Mais cela serait aussi trop peu demander au Politique car peu importe l'autonomie juridique, l'essentiel est l'autonomie réelle, laquelle est sous la garde du Régulateur.
En France, l'Autorité de Régulation est l'Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires.
La loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014 a procédé à l'intégration de la société qui gère le réseau de transport ferroviaire, dont la nouvelle dénomination est SNCF Réseau, dans un Groupe public, dans lequel figure aussi la SNCF, opérateur public de transport de fret et de personne, en compétition avec de nouveaux entrants, dans un secteur nouvellement ouvert à la concurrence.
L'Autorité de la concurrence dans son avis du 4 octobre 2013 avait exprimé ses réticences à l'égard du projet de loi, devant l'emprise qu'une telle organisation sociétaire offre à l'opérateur public, au détriment de de ses concurrents et de l'ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence.
Le ton critique s'accroît avec l'Avis du 6 janvier 2015 relatif à des projets de décrets pris pour l'application de la loi portant réforme ferroviaire.
L'Autorité de la concurrence constitue son avis comme une véritable dissertation sur ce que doit être la régulation du secteur ferroviaire à travers la "gouvernance" du gestionnaire de réseau. En effet, la première partie de l'avis porte sur "la gestion indépendante des infrastructures ferroviaires" tandis que la deuxième porte sur l'intégration de SNCF Réseau dans le groupe public. La troisième partie de l'Avis en tire les conclusions pour mesurer si l'on peut considérer que le régulateur, c'est-à-dire l'ARAF, aura les moyens de garantir cette indépendance par la gouvernance.
Cet avis, dans sa construction même, montre la dialectique entre la régulation et la gouvernance (I), ce qui est un constat et insiste sur le rôle du régulateur dans l'effectivité de la gouvernance (II), ce qui est davantage une question.