31 mai 2018

Sur le vif

Dans la conférence du 30 mai 2018, Xavier Musca expose ce que l'Europe de la Compliance peut faire pour les entreprises et ce que les entreprises par la Compliance peuvent faire pour l'Europe

par Marie-Anne Frison-Roche

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Dans le cycle de conférences organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) sur le thème de l' Europe de la Compliancelors de la conférence du 30 mai 2018, Xavier Musca, directeur général délégué du Groupe Crédit Agricole a exprimé la façon dont une entreprise européenne à dimension mondiale, dont l'activité est plus particulièrement bancaire, a intégré le phénomène nouveau de la Compliance!footnote-98.

Il s'est situé dans le prolongement de la présentation plus générale que venait de faire Jean-Jacques Daigre de l'occasion que représente la Compliance, avant que Pierre Vimont ne prenne appui sur ses propos en s'interrogeant sur l'aptitude des institutions européennes à concrétiser un tel projet. 

 

Lire ci-dessous la restitution de la conférence de Xavier Musca.

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Merci beaucoup à Monsieur Alexandre Kolher d'avoir pris des notes ayant aidé à la rédaction de  cet article. 

Monsieur Xavier Musca a débuté sa conférence par le souvenir qu'il a gardé d'une conférence au courant de laquelle l'intervenant voisin, Larry Summers, a estimé que les mécanismes de "compliance" participaient au phénomène de stagnation économique. Il apparaît en tout cas que la compliance est non seulement un ensemble de mécanismes désormais nettement perçu mais encore constitue un sujet en soi.

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Xavier Musca attribue cette nouveauté, paradoxale et produisant un effet "d'étonnement" car rien de plus ancien que l'obligation de respecter le Droit,  à 6 éléments fondamentaux, aujourd'hui réunis et convergents :

- L'extraterritorialité, qui du fait du dollar ne joue pour l'instant qu'en faveur des États-Unis ; 

- La paralysie de la règle Non bis in idem qui conduit à un cumul de sanctions, l'exemple de la Deutsche Bank étant particulièrement net ; 

- L'ampleur des sanctions pécuniaires, dans une échelle inconnue jusqu'ici produisant un impact sur la valorisation des entreprises ;

- Le nouveau rôle donné aux banques consistant à être des auxiliaires de service public, détectant les délits et les prévenant, non seulement en leur sein mais encore à l'extérieur (par exemple à propos de leurs clients), ce qui les oblige à se restructurer pour analyser en permanence les flux entrants et sortants ; 

- Le risque réputationnel majeur désormais attaché au dispositif, pouvant conduire à rompre des relations d'affaires ou à renoncer à des investissements pour préférer aider les autorités publiques à faire respecter le Droit, attitude qui conduit à s'imposer des règles de comportement plus exigeantes et strictes que celles exprimées par la loi ; 

- L'astreinte pour l'entreprise d'utiliser son pouvoir économique pour inciter les autres à adopter des comportements vertueux, l'entreprise quittant son coeur de métier pour répondre aux attentes non plus seulement des autorités publiques mais de la société elle-même, la politique de compliance déterminant alors la RSE de l'entreprise. 

 

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Cette présentation parfaitement claire a permis à l'auditoire de se poser la même question que celle que Xavier Musca a alors immédiatement formulée : puisqu'il en est ainsi, que cela est un fait et qu'il serait vain de nier cet état de chose, que peut faire l'Europe y compris avec l'aide et l'action des entreprises ?

Avec une méthode que chacun a apprécié, car tout d'abord en matière de compliance, l'on se perd rapidement dans la technicité, ce qui conduit à se perdre dans des considérations très techniques, à la joie d'experts, ce qui fût jamais le cas. Ensuite, l'on aurait pu en rester là, face à un tel tableau qui a montré l'ampleur du phénomène et l'on aurait pu se dire que la bataille étant en quelque sorte perdue, il ne nous restait qu'à devenir américain, et plutôt avocat américain, sans plus rien attendre de l'Europe, ce qui ne fût pas non plus le cas. Enfin, cette première description était bien nécessaire car avant de construire - par exemple une "Europe de la Compliance", il faut tout de même mesurer la situation, sa pesanteur, ses poids et ses obstacles, ce qui évite de partir la fleur au fusil et de sauter comme des cabris, car en matière de compliance on le fait parfois aussi....

L'auditoire était donc attentif à écouter la façon dont Xavier Musca conçoit la perspective européenne au regard des entreprises européennes de dimension mondiale en matière de compliance.

 

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Avec le même pragmatisme et esprit de synthèse, Xavier Musca a davantage procédé par questions que par affirmation, ce qui est sage lorsqu'il s'agit d'avenir, permettant de le garder ouvert. 

Il s'est tout d'abord demandé si l'Europe peut éviter qu'une puissance politique et économique tierce n'impose à travers la Compliance ce qui constitue en réalité sa politique étrangère. C'est un point sur lequel Pierre Vimont ne pourra que revenir longuement dans sa discussion.

Pour Xavier Musca, la question est de nature politique et non plus juridique. Les entreprises dont l'activité est mondiale ne pouvant se passer ni du marché américain ni du dollar, la réponse à une telle question n'est pas selon lui de nature juridique. Les entreprises sont donc neutralisées, dès l'instant que les États-Unis et l'Europe ne poursuivent plus les mêmes intérêts, et sont en attente de l'affirmation par l'Europe de sa propre puissance.

Certes, la convergence des intérêts est suffisamment forte pour que l'articulation soit possible par ailleurs et des accords puissent être trouvés, par exemple à propos du mécanisme procédural du Non bis in idem.  

 

Xavier Musca a ensuite souligné que la perspective attendue est bien celle d'un corpus de règles de compliance qui soit propre à l'Europe. Cette perspective est d'autant plus crédible que ce corpus existe déjà solidement, par exemple pour la protection du consommateur, l'information de l'investisseur, etc. 

Il a estimé que la faiblesse européenne ne réside pas dans la teneur de ce corpus mais dans la trop grande marge laissée aux États-membres dans l'exercice de transposition, notamment lorsque ceux-ci y ajoutent des contraintes.  

 

Xavier Musca a ensuite détaillé longuement le souci encore peu affronté d'une sorte de Soft Law qui se développe mondialement et qui submerge parfois la Compliance elle-même. La question elle aussi n'est pas dans sa teneur mais dans ses auteurs. Émanant d'États tiers à l'Europe, d'associations ou d'entités parfois mal identifiées, ce discours se traduit par des exigence de comportement sur les opérateurs qui doivent par exemple abandonner tel ou tel investissement.

Ces discours de soft law , construits comme ceux de la RSE de l'entreprise elle-même, notamment dans son activité de gestion d'actifs, mais émanant d'entités peu connues et parfois relayés par des institutions publiques, pouvant diverger des règles de droit ou des politiques de RSE, ont de fait un pouvoir de contrainte majeur.

Il en résulte des mouvements erratiques. L'Europe devant être un système ordonné et les stratégies RSE devant être complètes, argumentées et cohérentes, les institutions européennes doivent réfléchir à ces mouvements. 

 

Car précisément, et c'est sur ce thème que Xavier Musca a conclu sa conférence, l'Europe doit faire émerger des visions commune en matière de RSE, et cela en articulation avec les mécanismes de la compliance.

Puisque d'autres puissances que l'Europe n'ont pas les mêmes visions politiques, par exemple en matière de climat, ou de société, l'Europe par une convergence entre RSE et Compliance, peut articuler un discours cohérent.

Un tel discours protégera alors les entreprises, disposant ainsi d'un corpus de règles émanant des institutions légitimes à les émettre. 

C'est pour cela que les entreprises européennes à portée mondiale, notamment les banques, voient la Compliance à la fois comme une contrainte et comme une opportunité, notamment par la RSE, avec laquelle la Compliance a des points de contact. La compliance constitue alors un moyen de communiquer avec la société civile, ce que a conduit par exemple le Crédit Agricole à poser l'objectif de Compliance et l'objectif de RSE comme deux priorités du groupe, comme deux instruments majeurs de qualité. 

 

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Cette intervention a montré à la fois que l'entreprise ne peut pas échapper à la Compliance et qu'elle ne cherche pas à le faire, non pas seulement parce que nul ne peut prétendre échapper au Droit mais encore parce que la Compliance est intime de la Responsabilité sociétale de l'entreprise, ce qui la positionne au coeur même de la société civile.

Cette description était particulièrement intéressante parce que l'orateur ne l'a en rien dissociée du fait que la Compliance est également intime de l'État et qu'il a demandé à ce que l'État n'abandonne pas aux entreprises, sous prétexte qu'elles sont "mondiales", la tâche de faire respecter le Droit hors des frontières.

Ainsi, à suivre Xavier Musca, la Compliance n'est pas une soumission des grandes entreprises : elle les institue en lien : un lien avec les autorités publiques d'une part (les États, perdus dans la mondialisation et qui prétendent encore faire respecter leurs règle ....) et les entreprises ; un lien avec la population (la "société civile", également perdue dans la mondialisation et qui prétend encore être considérée).

 

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