23 juillet 2016

Sur le vif

Par un communiqué du 20 juillet 2016, le CSA rappelle à l'ordre le régulateur turc : est-ce le rôle d'un régulateur ?

Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) a pris un communiqué le 20 juillet 2016, par lequel il s'adresse directement à son homologue turc.

Lire le communiqué du CSA du 20 juillet 2016.

Le communiqué est bref. En voilà le texte : "Le Conseil supérieur de l'audiovisuel exprime sa vive inquiétude à la suite de la décision du Conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK), le régulateur des médias en Turquie, de retirer leurs droits d'émission à de nombreuses radios et télévisions.

Le Conseil appelle son partenaire de longue date au sein de la Plateforme européenne des instances de régulation (EPRA) et du Réseau des institutions de régulation méditerranéennes (RIRM) à ne pas mettre en cause la liberté de communication et le pluralisme des médias, garanties fondamentales d'une société démocratique.".

Le titre que porte le communiqué est le suivant : "Le CSA s'inquiète du retrait par le régulateur turc des droits d'émission de radios et de télévision".

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N'est-ce pas étonnant ?

Que les membres de l'Autorité de régulation s'inquiète comme beaucoup de personnes en raison des événements se déroulant dans cette fin de juillet 2016 en Turquie, on le comprend. Que les faits qu'on rapporte fassent craindre pour les libertés publiques et la démocratie, c'est une opinion que l'on peut partager.

Est-ce à une Autorité de Régulation d'exprimer son "inquiétude" ?

N'est-ce pas plutôt au Gouvernement qui, dans le cadre des relations dites "diplomatiques" d'exprimer par le vocabulaire d'usage, où le texte d'inquiétude est utilisé dans de pareils circonstances, de s'exprimer ?

L'on mesure ici en premier lieu  tout l’ambiguïté du statut du Régulateur de l'audiovisuel. En effet, dans le même temps qu'il insiste sur le fait qu'il agit comme régulateur économique d'un secteur dont il a la garde du développement et de l'innovation, ce qui justifie notamment qu'il considère les conceptions économiques des candidats à la présidence des chaînes de télévisions publiques - régulation économique que l'on conteste précisément le Parlement -, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a été établi pour préserver les libertés publiques.

Pour ceux qui adhèrent encore à la distinction naguère faite entre régulation des libertés publiques et régulation économique, le CSA est toujours cité - avec la CNIL - comme le prototype de la première régulation!footnote-43.

Mais ici, la manifestation de "vive 'inquiétude" accompagnée de la demande "de ne pas remettre en cause les libertés", ce qui est la version amiable d'une injonction ..., s'adresse à une autorité étrangère, sur laquelle le Régulateur n'a aucune autorité.

Que le Régulateur produise de la Soft Law sur les opérateurs sur lesquels il a compétence pour leur faire subir du Droit, on le conçoit : qui peut le plus peut le moins. Mais ici ? Ne faut-il pas appliquer l'adage Nemo plus juris ?

D'où le Régulateur tient-il le pouvoir d'émettre des "communiqués" où il formule des desiderata à l'égard d'un organisme étranger dont le comportement ne lui convient pas ? N'est-ce pas l'office du Quai d'Orsay ?

N'est-ce pas en deuxième lieu un office proprement politique, alors même que le Régulateur ne peut être légitime que dans un office technique et fragilise sa position lorsqu'il adopte une conception politique de sa fonction, plus encore s'il s'agit d'une perspective de "politique internationale", comme cela semble ici le cas.

Mais en troisième lieu le Régulateur répond par exemple à la critique.

En effet, il pose tout d'abord que c'est en raison des liens anciens qui existent entre les deux régulateurs, français et turcs qu'il s'autorise à exprimer son "sentiment" : entre amis l'on peut être francs, formuler quelques reproches et exprimer un espoir d'amendement. Finalement l'amitié dans le numérique et en politique permettrait bien des choses.

Plus encore, le CSA prend soin de rappeler la solidarité!footnote-44 qui existe entre les deux régulateurs. Cela serait parce qu'ils sont "partenaire de longue date au sein de la Plateforme européenne des instances de régulation (EPRA) et du Réseau des institutions de régulation méditerranéennes (RIRM)" que le régulateur français serait habilité à dire au régulateur turc son fait, c'est-à-dire qu'il compromet la démocratie et que cela doit cesser !

En raison du nombre de réseaux qui relient tous les régulateurs, si cela devait suffire pour permettre aux régulateurs de formuler des conseils, plus ou moins impérieux, à destination des uns et des autres, tandis que désormais les ambassadeurs ont des rôles économiques de plus en plus affirmés, la confusion des genres serait achevée.

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1

Sur le caractère dépassé de cette distinction, v. Frison-Roche, M.-A., Repenser le monde à partir de la notion de donnée, 2016.

2

Alain Supiot a montré que la solidarité est un principe juridique à part entière. L'on pourrait en avoir ici un nouvel exemple.

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