Sans sollicitation, sur son fil d'actualité, l'abonné de Facebook, trouve le 23 mars 2020 au matin ce message :
"X (prénom de l'internaute", agissez maintenant pour ralentir la propagation du coronavirus (COVID-19)
Retrouvez les actualités des autorités sanitaires et institutions publiques, des conseils pour ralentir la propagation du coronavirus et des ressources pour vous et vos proches dans le Centre d’information sur le coronavirus (COVID-19)".
Merci, Facebook d'indiquer comment faire ; d'ailleurs merci de m'avoir "invité" à le faire.
D'ailleurs, est-ce vraiment une "invitation" ? puisque l'expression est "agissez maintenant".
Ne manque que le point d'exclamation, et le doigt pointé de l'Oncle Sam pour "l'effort de guerre".
Si en Droit l'on songe à "l'invitation", ce ne serait pas davantage à "l'invitation" que naguère la Banque de France faisait aux banques actionnaires de refinancer une banque bientôt en difficulté que l'on pourrait songer, invitation à laquelle l'invité ne pouvait guère se dérober.
Non, bien sûr que non, c'est bien le même message que vous et moi écrivons sur nos pages Facebook pour dire des choses semblables sur le même propos !
Mais alors Facebook serait, comme vous et moi, éditeur de contenus ?
Questions et difficultés qui incitent à procéder à l'analyse juridique de savoir à quel titre Facebook a-t-il posté un tel message.
La première hypothèse est que cette entreprise a agi spontanément, au titre de sa "Responsabilité Sociétale" (I).
Si c'est la bonne qualification, au regard du contenu du message, les conséquences juridiques en sont importantes puisque cette entreprise, sans que l'on puisse généraliser, donne donc à voir qu'elle est un éditeur.
La seconde hypothèse est que Facebook est un "opérateur numérique crucial". A ce titre, il est soumis au Droit de la Compliance (II). C'est pourquoi il est soumis à des obligations spécifiques, ce qui écarte la qualification d'émission spontanée de message.
Si c'est la bonne qualification, au regard du contenu du message, les conséquences juridiques en sont aussi importantes puisqu'il montre le rapport entre l'obligation de lutter contre les informations fallacieuses et les sites malicieux vers celle de diriger sur les sites publics, bénéficiant pour l'opérateur d'une présomption de fiabilité.
Lire les développements ci-dessous.
I. PREMIÈRE HYPOTHÈSE : ACTION SPONTANÉE DE FACEBOOK, DEVENANT ÉDITEUR
Deux éléments incitent à le penser, mais l'impossibilité de la neutralité d'un message peut conduire un juge à requalifier une telle émission.
1. Facebook : une entreprise qui agit au titre de sa "responsabilité sociétale"
Dans la crise sanitaire qui embrasse la planète, beaucoup d'entreprises agissent en dehors de leur objet social, même renouvelé par la "raison d'être", donnent des biens, reconvertissent des activités, affirment leur solidarité.
L'on peut considérer que Facebook a fait de même. N'ayant pas d'activité productive de biens physiques mais ayant le pouvoir de joindre beaucoup de personnes, cette entreprise très particulière a mis au service de la collectivité son outil de travail et a relayé des informations pratiques, comme d'autres ont fabriqué des produits sanitaires.
L'analogie est très convaincante car masque, gel et conseils pratiques sont du même ordre pour lutter contre la propagation du virus.
2. Un message qui vise à être "neutre"
Le message est décomposé en deux parties.
La première partie demande à l'internaute d'agir contre la propagation du virus. Cela est neutre car l'on peut considérer que l'entreprise non seulement ne peut pas émettre le discours inverse, ce qui relèverait du Droit pénal, mais encore qu'elle relaye l'ensemble des discours de tous.
La seconde partie se contente de renvoyer à des sources publiques : "retrouvez les actualités, etc.., des conseils ... et des ressources", l'ensemble renvoyant au Centre public qui regroupe tout cela.
Facebook passe donc les informations comme d'autres transportent les médicaments.
Il résulterait donc de ces deux premiers éléments que Facebook a agi pour rendre service, qu'il n'y était pas obligé et qu'aucune conséquence juridique n'y est attachée.
3. L'impossibilité d'un message neutre et la perspective d'une requalification globale en "éditeur"
La difficulté vient du fait qu'ici l'émission d'un "message neutre" n'était pas possible.
Pour mieux s'en rendre compte, l'on peut comparer ce message à d'autres messages par Facebook selon la même technique.
Par exemple celui émis par Facebook à Noël ou au 14 juillet. Ce sont des messages qui souhaitent à chacun un "joyeux Noël" ou un "bon 14 juillet". Ils donnent peut-être envie à notre tour de fêter ces événements mais le message ne prend pas la forme impérative "Agissez". Il est vrai que fêter ces moments ne correspond à aucune obligation, même morale, chez l'internaute, alors que ne pas propager un virus en relève.
Ou encore celui, déjà plus ambigu, émis par Facebook pour demander aux internautes d'aller voter aux élections. Ce type de message est plus ambigu parce qu'il y a un conseil de comportement "allez voter". Mais le vote, s'il n'est pas obligatoire, est un devoir civique et l'on pourrait encore considérer que Facebook agit dans le prolongement de l'État.
Ici, l'absence de neutralité vient de la seconde partie du message. Elle n'est pas reprochable parce qu'elle est inévitable. Facebook décrit l'information à aller chercher, et plus particulièrement sur les façons d'agir, pour soi et ses proches (qu'en est-il des autres ?).
Alors même que pullulent de très nombreux messages pour critiquer les "discours officiels" sur cette information-là et affirmer parfois l'inverse, dans l'information et les conseils.
Si Facebook a agi spontanément, il a choisi.
Cela n'est pas reprochable. Mais il a alors agi comme vous et moi en écrivant un post.
Ainsi Facebook a bien, non pas d'une façon neutre, "passé" un message mais en faisant son choix librement "écrit" un message. Comme il l'avait déjà fait pour les élections, afin que nous votions, car il préfère que nous votions plutôt que pas. Comme il le fait plus encore aujourd'hui, afin que nous luttions contre le virus selon des modalités qui lui paraissent plus fiables que d'autres.
La conséquence est bien que Facebook est un éditeur.
Si Facebook ne veut pas de cette qualification-là, et l'on sait l'énergie déployée par cette catégorie d'entreprises pour éloigner cette qualification et ses conséquences, c'est alors dans le Droit de la Compliance qu'il faut chercher la qualification adéquate.
II. SECONDE HYPOTHÈSE, PRÉVALENTE : ACTION DE L'OPÉRATEUR CRUCIAL EN RAISON DE SON OBLIGATION DE LUTTE CONTRE LES INFORMATIONS FALLACIEUSES
Dans le Droit de la Compliance, Facebook est comme d'autre un opérateur numérique crucial. A ce titre le Droit les contraint à lutter contre les discours fallacieux. Or, si la nécessité pour tous de lutter contre le virus n'est pas contesté, les modalités donnent lieu à des discours dangereux, voire haineux, et certainement fallacieux. C'est alors sur l'ordre du Droit que l'opérateur crucial doit lutter. Et la lutte n'est pas que négative, elle est aussi positive, comme le montre la définition du "but monumental", clé de voûte du Droit de la Compliance.
1. Facebook est un "opérateur numérique crucial" soumis au Droit de la Compliance
Le Droit de la Compliance oblige des opérateurs en position de concrétiser des "buts monumentaux". Ceux-ci sont fixés par les Autorités publiques. Leur concrétisation est internalisée dans les opérateurs qui sont en position de les atteindre ("opérateurs cruciaux), selon des modalités que ceux-ci peuvent choisir.
En matière numérique, les entreprises qui tiennent des plateformes sont de cette catégorie. C'est pourquoi ils participent à la Gouvernance d'Internet, sans pour autant en être les maîtres : ils développent des moyens sans fixer les buts.
2. Les opérateurs numériques cruciaux sont "invités" à participer à la lutte contre les discours fallacieux
A partir de cette définition générale, le Droit oblige les entreprises dites "plateforme" à lutter en Ex Ante contre les "fausses informations". Cela a fait l'objet de textes précis, visant notamment les périodes électorales. Mais d'une façon générale, le CSA, qui opère alors comme une Autorité de supervision, a "recommandé" une vigilance plus générale sur cette question.
L'on est proche de "l'invitation" bancaire et de la "vigilance" organisée en matière de corruption.
Il en résulte que l'opérateur qui développe des outils en Ex Ante pour lutter contre des discours fallacieux obéit au Droit et non pas à son bon cœur. Ou pas seulement. Il en résulte que si un dommage en résulte, l'obéissance au Droit le contraint mais en contrepartie le protège, notamment si l'information n'était pas si fallacieuse, demeure controversée, etc.
Or concernant le virus se diffusent sur Facebook des messages forcément inexacts ("boire de l'eau aillée vous protège"), voire haineux ("ces chinois méritent la mort"). Les éliminer relève dont d'une application du Droit de la Compliance.
Mais le "but monumental" est ici non pas seulement de lutter contre la désinformation mais de promouvoir l'information. Comme le fait sur les marchés financiers l'Autorité des marchés financiers. Or le Droit de la Compliance institue les opérateurs cruciaux en "régulateurs de second degré".
Le Droit de la Compliance permet donc ce passage. A certaines conditions.
3. Les conditions d'un passage d'une obligation négative de lutte contre les informations fallacieuses (lutter contre) vers une obligation positive de direction vers des informations présumées fiables
L'on doit non seulement permettre mais "inviter" les opérateurs cruciaux à un tel passage. Surtout lorsqu'il s'agit d'informations vitales, concernant les êtres humains, puisque le Droit de la Compliance met au centre l'être humain.
Revient alors le grief récurrent : les plateformes n'ont pas à imposer leur "vérité".
C'est ici que l'État intervient. Car le Droit de la Compliance, en tant que prolongement du Droit de la Régulation, demeure toujours ancré dans les autorités publiques.
L'opérateur crucial doit orienter vers des informations émanant d'autorités publiques officielles. S'il s'avère que par la suite ces informations étaient inexactes, il n'engage pas sa responsabilité car à son égard ce type d'émetteur engendre une présomption de véracité, qui ne doit pouvoir être renversée que par la démonstration d'une faute lourde de l'opérateur.
Cette règle probatoire essentielle permet d'expliciter ce que vient de faire Facebook, en application d'un Droit de la Compliance qui est, plus que jamais, requis pour prévenir et gérer les crises systémiques majeures, comme celle dont la population mondiale est actuellement victime.
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