24 novembre 2017

Sur le vif

Le Droit financier achève de dévorer le Droit des sociétés : l'obligation au remboursement ne caractèrisee plus "l'obligation"

par Marie-Anne Frison-Roche

Ce sont les cas, et donc les jugements qui tranchent les disputes à leur propos, qui finissent par révéler des évolutions déjà opérées mais encore masquées, ou qui les achèvent, ou qui les constituent d'un trait.

Ainsi en est-il de donner la qualification des "titres" qui constituent les "biens financiers", à propos desquels Michel Jeantin écrivit un article précurseur, exercice de qualification qui occupe aujourd'hui des thèses de doctorant.

Mais enfin, le Droit financier trouvant encore un peu sa source dans le Droit des sociétés, enfin le croyait-on, on en restait à la distinction fondamentale entre l'action et l'obligation, même si les techniques financières ploient aujourd'hui l'un vers l'autre, de sorte que les choix des investisseurs entre les "marchés-actions" et les "marchés-obligations" ne tiennent pas guère à leur distinction juridique.

Toujours est-il que si les mots ont encore un sens, et le Droit n'est fait que de mots, l'action demeure un "titre de capital" ce qui conduit son titulaire à courir (un peu) du risque de l'entreprise et n'être remboursé qu'en dernier (en boni de liquidation) tandis que l'obligation est un titre d'emprunt. C'est pourquoi en Droit des sociétés l'augmentation de capital et l'emprunt obligataire sont des techniques si différentes.

Mais ça, c'était avant.

Avant que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne rende le 23 novembre 2017 l'arrêt Generali Vie.

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Dans cette affaire, que le site de la Cour de cassation classe sous le simple visa de "Assurances (règles générales)", on voit se dérouler le drame suivant. Un particulier  souscrit un contrat d'assurance-vie en unités de compte. Avant le terme de son contrat, il place l'ensemble de sa prime sur un autre produit, unique support, que l'assureur a dénommé commercialement "Optimiz Presto". Celui-ci n'est pas garanti en capital à échéance. Or, le "produit" a de mauvaises "performances" et à l'échéance, le client ne retrouve pas son capital.

Mais il se souvient alors de la façon dont l'assureur lui avait présenté les choses, à savoir comme un "produit obligataire non garanti en capital à échéance et dont les actifs concernés sont admis sur le marché officiel de la Bourse de Luxembourg".  Le client, devenu plus juriste que Monsieur Jourdain, affirme que lorsqu'on lui dit "produit obligataire", on lui dit "remboursement à l'échéance du capital". Parce que c'est ce que le mot "Obligation" veut dire". Certes, ensuite il y a mention du fait qu'il n'y a pas de garantie du capital, mais en termes galants l'on dirait qu'il y a oxymore, en termes courant l'on dirait qu'il  y a charabia, et en termes juridiques l'on dirait qu'il y a défaut d'information car l'assureur aurait dit lui dire que là où il y avait marqué "produit obligataire" il fallait comprendre tout sauf... "obligation".

Les juges du fond ont suivi ce raisonnement fondé sur la qualification et condamné l'assureur pour manquement à l'obligation d'information et parce qu'un "produit obligatoire" donnant par définition lieu à rembourser à l'échéance il n'était pas "éligible" à la description faite pour le produit "Optimiz Presto".

Et voilà que la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel. Non pas sur l'obligation d'information, mais sur ce qu'est un titre obligataire. Dans l'arrêt Generali Vie du 23 novembre 2017, elle ne dit ce que c'est mais elle dit ce qu'il peut ne pas être. Et c'est déjà une révolution : le Droit financier n'a définitivement plus besoin du Droit des sociétés.

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En effet, la Cour de cassation se fonde non pas sur le seul Code des assurances mais sur le Code monétaire et financier avec lequel le premier doit s'articuler.

Elle pose donc dans un attendu présenté formellement comme un attendu de principe que "les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale". 

Dès lors, elle relève une différence entre cette définition (très large et commune à de nombreuses titres) avec celle - si classique - que les juges du fond ont quant à eux affirmé que "l'obligation est ... un titre de créance représentatif d’un emprunt et dont le détenteur, outre la perception d’un intérêt, a droit au remboursement du nominal à l’échéance ".

Partant, la Cour de cassation ne peut que casser, puisque selon elle les juges du fond en posant que "la qualification d’obligation n’est pas subordonnée à la garantie de remboursement du nominal du titre".

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Le Droit financier a donc dévoré le Droit des sociétés.

Les juges du fond savent lire et ce n'est pas dans les diverses réglementations qu'ils avaient trouvé cette définition, mais dans une sorte de nature des choses, affirmant que le remboursement du capital est une "obligation essentielle" du régime du titre qui justifie qu'il reçoive la qualification d'"obligation".

La Cour de cassation ne les suit pas.  Elle relève simplement la mention du prospectus agrée par le Régulateur du marché du Luxembourg, indiquant que l'absence de remboursement du capital au terme d'une obligation est un "inconvénient".

Les financiers peuvent donc écrire n'importe quoi.

 

ie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

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