20 décembre 2017

Parutions : I. Articles Isolés

Le Droit de la Régulation tire sa puissance de son capacité à saisir directement le concret : exemple juridictionnel du cas "Uber" ; exemple légal du registre des "bénéficiaires effectifs"

par Marie-Anne Frison-Roche

Les opérateurs cherchent à n'être pas tenus par les règles de Droit. Pour cela, ils utilisent le plus efficace des moyens : le Droit lui-même.

Ainsi, Uber dont chacun sait qu'il fait fortune en permettant à des usagers de monter dans des voitures pour aller d'un point à un autre explique qu'il est une entreprise de "plateforme", constitutive d'un "marché biface", qu'il n'a jamais vu une voiture, qu'il ne connait aucun chauffeur et qu'il se meut dans ce monde nouveau qu'est le monde numérique.

Cette façon, si habile, qui consiste à prendre les auteurs de la règle et ceux qui l'interprètent pour plus niais encore qu'ils ne sont, est maniée devant si longtemps. Elle consiste à utiliser le Droit dans sa puissance formelle à prendre distance par rapport à la réalité factuelle, et de se prévaloir ensuite de cette distance-là, de la puissance juridique pure pour n'être en rien tenu par le réel.

Le Droit tient effectivement son existence même dans sa distance entre le réel. Le meilleur exemple est celui de la "personne morale", sujet de droit titulaire de prérogatives juridiques et d'obligations, existant par la seule volonté et la prévision qu'en a eu le système juridique.

Mais le Droit de la Régulation est par nature d'une part un Droit qui part des choses, un droit concret, un "Droit des choses concrètes" (un droit du téléphone, un droit du chemin de fer, de l'électricité, etc.), qui reconcrétise un mot que le Droit de la concurrence avait contribué a neutralisé puisque tous les objets s'échangeant, leurs substances devenait indifférentes, le numérique accroissant l'indifférence de la substance comme le montre ces plateformes que le Droit a tant de mal à saisir.

Ainsi, à travers UBER, le Droit de la Régulation voit simplement un service de transport.

De la même façon, à travers une personne morale, le Droit de la Régulation voit simplement les personnes qui sont derrière la structure juridique et qui en bénéfice.

 

Or, et d'autre part , le Droit de la Régulation est par nature est un droit qui est fait pour contrôler les pouvoirs.

En cela, les techniques juridiques peuvent être utilisées par les opérateurs autant qu'elles le veulent, parce que la Régulation est une technique qui s'insère dans un système libéral, aussi bien politiquement qu'économiquement, mais elles ne peuvent pas être utilisées pour permettre à des opérateurs pour se soustraire au contrôle du Régulateur.

C'est pourquoi lorsqu'un cas est soumis au Régulateur, comme cela fût le cas pour UBER, le Régulateur des transports de la ville de Londres a le 22 septembre 2017 appliqué à cette entreprise la totalité des exigences associées à l'activité de transport, estimant que les manquements reprochés aux chauffeurs lui étaient imputables, UBER ne pouvant pas couper le lien d'imputation sous prétexte qu'elle ne relevait que du numérique, lien d'imputation qui justifia le non-renouvellement de la licence.

De la même façon, la Cour de Justice de l'Union Européenne, par son arrêt du 20 décembre 2017, vient de procéder au même exigence de qualification, qui est des simples : UBER a une activité de transport, ce qui justifie les exigences et les contrôles attachées à cette activité, à la fois essentielle économiquement et socialement et dangereuse pour les personnes transportées.

Il ne s'agit pas même d'une "démonstration", mais d'une "monstration" : le Droit de la Régulation, parce qu'il est concret et veut effectivement contrôler, "regarde" la réalité des choses, et ce que chacun voit, il veut le voir aussi.

Ce qui arrive dans la Régulation des transports, et ce que ne peut masquer la paradoxale opacité de l'immatérialité du numérique, on la retrouve dans le Droit des sociétés que la Régulation bancaire et financière est en train de transformer.

En effet, La loi du 9 décembre 2016, dite "Sapin II" contribue à mettre fin à l'idée même de personne morale en tant qu'elle recouvra d'une voile d'opacité des personnes intéressées à la constitution d'une personne morale. En instituant un "Registre des bénéficiaires effectifs" des sociétés qui seront créées (en dehors des sociétés cotées), l'idée est de savoir qui contrôle la société, laquelle n'est plus définie comme une "personne" mais comme un "instrument".

Ce registre qui a donc pour objet de montrer qui a le pouvoir de décider dans l'instrument sociétaire et qui est le véritable "bénéficiaire" de sa création, est établi pour le bénéfice des autorités de contrôle, notamment celles qui luttent contre le blanchiment d'argent, mais aussi toute partie prenante autorisée par un juge.

Cette modification du Droit achève la dilution du Droit des sociétés dans le Droit de la Régulation relève du même mouvement : le Droit est l'instrument de révélation de la réalité des puissances d'une part et le moyen de les contrôler d'autre part, sans pour autant que soit remis en cause le principe du libéralisme.

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