27 novembre 2017

Sur le vif

La disponibilité sans limite de temps des informations nominatives dans les archives de presse online : exemple du "Droit à l'oubli" et du "Droit à l'information" (CEDH 19 oct. 2017, Fuchsmann c/. Allemagne)

par Marie-Anne Frison-Roche

Les systèmes de Régulation tiennent à tenir de plus en plus sur des prérogatives des personnes, des "droits subjectifs", que l'on considère cela comme un mouvement de "civilisation" des systèmes économiques naguère tenus par les États ou que l'on y voit une technique d'efficacité à travers des incitations adressées à des entités rationnelles, appelées à agir pour que l'intérêt collectif soit respecté. 

Sans doute un peu des deux.

Mais dès l'instant qu'il y a des "droits subjectifs", certains peuvent être consubstantiels à la personne, c'est-à-dire relever non seulement du Droit de la Régulation mais encore des Droits humains.

Et de la même façon que les juridictions appliquent souvent des Droits humains de nature processuels (par exemple les droits de la défense), pour poser des limites au Droit de la Régulation, souvent gouverné par le principe méthodologique de "l'efficacité" parce qu'il est un droit téléologique, il arrive que les droits humains soient eux-même issus des systèmes de régulation.

C'est ce que met en lumière l'arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l'homme, dans son arrêt du 19 octobre 2017, Fuchsmann c/. Allemagne.

Dans le cas examiné, s'opposaient deux droits fondamentaux.

Le premier, le "droit à l'information", est certes classique dans les droits humains mais prend un nouveau relief dans les systèmes de régulation, car l'information est le principe majeur de fonctionnement du système lui-même, par exemple en finance ou en banque, au-delà du principe démocratique, l'espace numérique étant à la croisée des deux perspectives.

Le second, le "droit à l'oubli" est né des systèmes de régulation. Il cristallise un droit au contrôle des fiches et, depuis l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Google Spain, une incitation faite aux personnes d'exercer un contrôle sur les entreprises maîtresses du numérique. C'est alors le Droit, plus ancien, des droits humains, qui a recueilli, cette prérogative toute nouvelle "à l'oubli", jusqu'à éventuellement redessiner la prescription sur ses contours.

Mais ces deux droits subjectifs s'opposent. Et ce sont aussi bien les Régulateurs, les juridictions économiques que les juridictions des droits humains qui vont opérer l'équilibre. Et c'est ce que fait l'arrêt du 19 octobre 2017.

En effet, le New-York Times avait publié un article à propos d'une personne. Et comme désormais les journaux conservent leurs articles en complète disponibilité online , il demeure pour les internautes possible de trouver aujourd'hui encore cet article dans lequel il est décrit que cette personne, nommément visée, a des liens avec le crime organisé. Celle-ci s'appuie sur le droit de la Régulation numérique, revendique donc son "droit à l'oubli" pour obliger le journal à rendre indisponible cet article (l'article n'étant pas séparable du nom de celui sur lequel l'article porte), donnée que la personnalité entend recouvrir du manteau protecteur de "l'oubli".

L'éternité de l'archivage électronique vient-il changer les solutions ?

Non.

Dans cet arrêt Fuchsmann c/. Allemagne, la CEDH pose que le "droit à l'oubli" s'efface lorsque le journal a parfaitement respecté les droits de la personne en question avant la publication ("duty of care" d'une part et que l'intérêt général du public à être informé est en cause : "the informational interest of the public outweighed the concerns of protecting the applicant's personality right, even taking into account that such reporting might seriously damage his private and professional reputation.".

Les critères sont classiques dans la jurisprudence de la CEDH. 

Cela signifie aussi que le "droit à l'oubli" n'excède pas ce pourquoi il a été conçu : le retrait d'une "donnée " très particulière : un nom dans un fichier. Un article n'est pas un fichier. Le "droit à l'oubli" n'entame pas la prescription mais plus qu'il ne saurait détruire le droit à l'information, qui se transforme par la force du Droit de la régulation en principe de "transparence".

Devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, le Gouvernement allemand avait en défense refusé expressément de concevoir le "droit à l'oubli" (sur le terrain des droits humain) comme l'a conçu la Cour de justice de l'Union européenne (sur le terrain de la régulation numérique), position résumé dans l'arrêt en ces termes :

"Moreover, the Government submitted that the public had avalid interest in the publication of articles in an online archive of a newspaper, if they had been lawfully published originally and were recognisable as archived old - news stories. In the present case, both requirements had been met. Lastly, the Government pointed out that the applicant’s submissions regarding the right to be forgotten and the
correlating judgment of the Court of Justice of the European Union were negligible, since
the judgment concerned completely different ircumstances and no relevant principles could be derived from it for the case.".

L'arrêt de la CEDH ne reprend pas cette allégation. Mais il ne reprend pas non plus l'expression de "droit à l'oubli".

Pourtant, il prend position sur la question de l'archivage online des articles de presses nominatifs, qui auraient pu justifier une application par analogie du droit à l'oubli.

Et sa position est de principe, penchant du côté de l'intérêt général à l'information, en ces ces termes :

"Moreover, given the great public interest in the corrupion allegations, there was also a public interest in mentioning the applicant by name. The Court agrees with the conclusion of the Court of Appeal that the article contributed to a debate of public interest and that there was public interest in the alleged involvement of the applicant and mentioning him by name. The Court of Appeal further held that public interest also existed in the publication of the article in the online archive of the newspaper. It reasoned that the public had not only an interest in news about current events, but also in the possibility of researching important past events. The Court agrees with this conclusion, too. It notes the substantial contribution made by Internet archives to preserving and making available news and information. Such archives constitute an important source for information".

Ainsi, l'arrêt dans sa réponse et son expression prouve montre que si les systèmes de régulation ont tendance à dévorer les autres systèmes et branches du droit, ci en généralisant un "droit à l'oubli", qui n'avait été conçu que pour gérer la question des fichiers informatiques, ce droit subjectif réimplanté dans le droit classique retrouve sa place raisonnable, ici l'information, équilibre qui est lui-même la marque du Droit de la régulation lui-même et qui rappelle que le maître du système est à la fin toujours le même : le juge.

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