24 juin 2016

Sur le vif

Le Conseil scientifique de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) consacre son colloque à la question de l'éducation financière

par Loona Corrente

L'Autorité des Marchés Financiers (AMF) s'est dotée d'un Conseil scientifique.  Sa direction en est assurée par Gérard Rameix, président de l'AMF.

Le Conseil scientifique de l'AMF a choisi comme thème de son nouveau colloque annuel scientifique annuel, qui s'est tenu  le 20 juin 2016  L’éducation financière à l’ère du digital.

Construit en partenariat avec la Paris School of Economics, ce colloque a été ouvert par François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Il a posé que l’éducation financière « doit permettre à chacun de faire des choix éclairés ». Il a estimé qu'elle constitue à ce titre un « facteur d’efficacité économique et d’équité sociale », ce qui justifie l’implication des pouvoirs publics et notamment de la Banque de France. Celle-ci, avec le concours de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et de l’AMF, doit alors être « un éducateur bienveillant, mais un régulateur attentif », car il est « impératif de faire avancer ensemble l’éducation financière et la régulation, pour permettre le développement de nouvelles technologies, comprises par tous et au bénéfice de tous ».

Trois tables rondes se sont ensuite succédées. La première portait sur l’évaluation du niveau d’éducation financière des ménages (et son impact sur leurs décisions financières). La deuxième avait pour objet les opportunités ouvertes à cet égard par les nouvelles technologies, servant de base au marché des services financiers proposés par les Fintech, principalement les plateformes de financement participatif agrégateurs de données et prestations de conseil automatisées. La troisième table ronde, composée de régulateurs français (AMF, Institut National de la Consommation –  INC) et européens (Commission Européenne), a tiré les conséquences des deux premières tables rondes en présentant les enjeux soulevés par une éducation financière « digitalisée » pour les autorités de régulation.

En raison de la richesse et de l'importance de ce colloque pour les questions de régulation, il est important de restituer ce qu'il a été dit au sein de la troisième table-ronde, consacrée au rôle des Régulateur en matière d'éducation financière (I), puis d'apprécier les propos développés au regard des travaux menés sur cette question essentielle (II). 

(lire ci-dessous)

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V. sur ce point Lacroix, F., Les places financières alternatives : propos relatifs aux approches régulatoires concernant les plateformes de crowdfunding et d’échange de bitcoins » in Frison-Roche, M.-A. (dir.), Internet, espace d’interrégulation, , série "Régulation", Dalloz, 2016, pp. 43-73.

I. La troisième table-ronde :   L’éducation financière à l’ère du digital : quels enjeux pour les régulateurs ?

La troisième table ronde était modérée par Bertrand de Juvigny, secrétaire général de l’AMF. Il a rappelé  que si l’éducation financière est un sujet qui « préoccupe fortement l’AMF » depuis plusieurs années, la stratégie de Régulation en la matière demande désormais à être « revisitée dans un nouveau contexte, dans lequel le digital prend de la place et prend le pouvoir ».

Deux axes de réflexion se sont ensuite dégagés des échanges entre les intervenants. On peut les restituer de la façon suivante : d’une part, ceux-ci ont relayé les nouveaux besoins de Régulation exprimés par les consommateurs et les entreprises du secteur (A) ; d’autre part, ils se sont interrogés sur la possibilité pour les Régulateurs de se charger eux-mêmes de l’éducation financière des épargnants (B.).

 

A. De nouveaux besoins de Régulation engendrés par une éducation financière digitalisée

Selon Agnès-Christine Tomas-Lacoste, directrice générale de l’INC, le fait pour les consommateurs d’avoir à utiliser de nouveaux services financiers digitaux engendre chez eux une crainte renouvelée en termes de cybersécurité : il existe ainsi « une véritable attente de la part des consommateurs sur un degré de protection accru de la part du Régulateur ».

Sur ce point, Franck Guiader, directeur de la nouvelle division Fintech, Innovation et Compétitivité de l’AMF, a souligné que le conseil digital - c'est-à-dire une  prestation de services financiers réalisée par un professionnel par voie digitale - présente un avantage pour le Régulateur : celui d’être aisément traçable, à la différence, notamment, d’un conseil donné en agence.

Philippe Pelle, chef d’unité chargé des services financiers à la Commission européenne a quant à lui présenté les résultats du Livre vert de la Commission européenne sur les services financiers de détail en Europe, issu d'une consultation des entreprises du secteur, lesquelles ont dit attendre notamment du Régulateur qu’il « facilite l’information digitale » afin de « la simplifier et de la rendre plus efficace ». Elles souhaitent également que le Régulateur « fasse preuve de compréhension » sur la réglementation à laquelle elles doivent être soumises, qui doit le cas échéant être adaptées aux nouvelles spécificités du secteur.

A cet égard, Franck Guiader a rappelé les efforts de l’AMF pour définir une réglementation adaptée aux acteurs du financement participatif, à tel point que le secteur bénéficie désormais selon lui d’une « sécurité juridique complète ».

 

B. La possibilité pour le Régulateur de se charger de l’éducation financière des consommateurs

Selon Franck Guiader, il convient de privilégier une approche « Regulatory to Business to Customers - R2B2C».  L’éducation financière ne doit ainsi pas être directement financée par le Régulateur : en revanche, celui-ci doit éduquer les acteurs, qui éduqueront en retour les consommateurs.

L’éducation des acteurs par le Régulateur passe alors en partie par la communication d’une information claire sur les règlementations auxquelles ils peuvent être assujettis. En retour, le Régulateur doit également s’assurer que la contribution des acteurs à l’éducation financière des consommateurs soit « transparente, objective et dans l’intérêt du consommateur » (Philippe Pelle). Cette position est partagée par Agnès-Christine Tomas-Lacoste, qui considère que le rôle premier du Régulateur est d’« assurer une véritable confiance, répéter, redire, fournir de l’information claire » pour accompagner le développement des Fintech en matière de services financiers.

Gérard Rameix, président de l’AMF a fortement exprimée dans l'intervention qui a clôturé le colloque cette volonté éducative, en considérant que « ces nouvelles technologies – en permettant aux établissements financiers de mieux connaître les clients, en facilitant la comparaison des produits et en optimisant la diversification – compenseront dans une certaine mesure le manque de formation financière du public ».

 

II. L'opportunité d'avoir noué Régulation et Éducation

L’éducation financière (financial literacy) n’est pas une notion récente, mais les pouvoirs publics y font plus attention depuis la crise financière. Depuis 2010, des études ont montré que les personnes ne comprennent pas les connaissances de base de la finance et que cela participe à la fragilité du système financier. 

L’OCDE définit l’éducation financière comme une « combinaison de conscience financière, de connaissance, d’habileté, des attitudes et comportements nécessaires pour prendre les bonnes décisions financières et finalement arriver à un bien-être financier individuel ».  Depuis 2012, elle est une finance/financial-education/G20_OECD_NSFinancialEducation.pdf">priorité du G20 ; elle fait également l’objet de dispositions spécifiques dans les directives de l’Union européenne et, depuis 2015, constitue même en France une stratégie nationale à part entière. Celle-ci, comme l’a rappelé Monsieur le gouverneur François Villeroy de Galhau, est pilotée par la Banque de France « en coordination étroite avec l’AMF ».

En réalité, le rôle de la Régulation à l’égard de l’éducation financière semble dual : si le Régulateur financier a pour principal office la protection d’un consommateur de plus en plus autonome (A), il est désormais également invité à se placer dans une démarche plus proactive visant à orienter ceux qu’il protège vers une épargne performante afin de satisfaire des objectifs politiques (B).   

 

A. Le Régulateur, garant de la protection du consommateur par l'éducation de celui-ci 

D’une part, l’éducation financière a pour objet et pour effet d’accroître l’autonomie du consommateur. La régulation financière participe à cette prise d’autonomie en lui garantissant une information transparente et de qualité (sur les produits financiers qu’on propose au consommateur comme, dans le cas des services financiers digitaux, sur l’utilisation qui peut être faite de ses données personnelles). En neutralisant les potentiels conflits d’intérêts, l’action du Régulateur est ainsi un vecteur de confiance pour le consommateur envers les services financiers, fussent-ils dématérialisés. Le plan stratégique de l’AMF pour les années 2013-2016, qui avait pour objectif de « rétablir la confiance des épargnants », s’inscrit pleinement dans ce cadre.

A titre incident, la vigilance du Régulateur en matière d’éducation financière permet également de protéger le marché des risques inhérents à cette autonomie accrue du consommateur. Celle-ci est parfois d’autant plus catalysée par des entreprises digitales, dites « disruptives », qui la placent au cœur de leur stratégie : c’est notamment le cas de la « finance sociale » (social finance), qui s’opère sur des plateformes virtuelles et donnent lieu à la formation de communautés virtuelles, à même d’influencer les individus dans leurs décisions financières.

 

B. Le Régulateur, promoteur de « l’efficacité » de l’épargnant par l'éducation de celui-ci

 

D’autre part cependant, la qualification de « stratégie nationale en matière d’éducation financière » montre que l’impératif d’éducation financière dépasse en France le simple objectif de protection du consommateur ou de l’épargnant.

Dans son propos introductif au colloque, le gouverneur de la Banque de France a d’abord présenté l’éducation financière comme un « facteur d’efficacité pour le financement de l’économie ». Cette conception s’éloigne de la définition de l’OCDE, selon laquelle la fin ultime de l’éducation financière est le bien-être individuel. Les pouvoirs publics considèrent ainsi qu’il convient de tendre vers une « meilleure » éducation financière des épargnants, définie et assumée par les pouvoirs publics et à laquelle des autorités administratives indépendantes (telles que l’AMF ou l’ACPR) participent. Cette éducation doit être conçue et réalisée tant dans l’intérêt de l’Etat (une plus grande appétence des ménages pour l’épargne long-terme peut accompagner la réforme des systèmes de retraite) que dans celui de l’économie « réelle » (les entreprises bénéficiant de la généralisation de la détention d’actions pour accroître leurs capacités de financement). Dans ce cadre, le bien-être individuel du consommateur n’est envisagé qu’à titre subsidiaire.

L’on retrouve ainsi l’idée selon laquelle le droit de la Régulation est un droit téléologique, sous-tendu par des principes politiques, qui pose avant tout et rappelle continuellement au marché le but recherché (en l’espèce, l’orientation des ménages vers une épargne performante).  Dès lors, le Régulateur doit user de tout "outil", et l'éducation en est un. Ainsi, parmi tous les instrument de la Toolbox , il y a aussi l'éducation ....

 

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En savoir +

Rapport du groupe de réflexion dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) sur la définition et la mise en œuvre d’une stratégie nationale en matière d’éducation financière (février 2015)

 

Portail de l’OCDE sur l’éducation financière (en anglais)     

 

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 Atkinson, A. and F. Messy (2012), “Measuring Financial Literacy: Results of the OECD / International Network on Financial Education (INFE) Pilot Study”, OECD Working Papers on Finance, Insurance and Private Pensions, No. 15,

OECD Publishing (lien pour fiche bilatéralisée). Définition traduite et citée in Comité consultatif du secteur financier (2015), « La définition et la mise en œuvre d’une stratégie nationale en matière d’éducation financière », Rapport du groupe de réflexion présidé par M. Emmanuel Constans, p. 5.

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