Secteurs

Thesaurus : Doctrine

Référence complète : BRAUDEL, Fernand, La Dynamique du capitalisme, Arthaud, 1985, rééd. Flammarion 1989, Paris, 107 p.

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Thesaurus : Doctrine

Référence complète : Manent, Pierre, Histoire intellectuelle du libéralisme, Calmann-Lévy, 1987 ; rééd. coll. "Pluriel", Fayard, 2012.

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Thesaurus : Textes

Liens : France

http://www.conseil-constitutionnel.fr/

Le Conseil constitutionnel a été institué par la Constitution de la Ve République, en date du 4 octobre 1958. C'est une juridiction dotée de compétences variées, notamment du contrôle de conformité de la loi à la Constitution.

Elle opère un contrôle a priori des lois françaises et un contrôle a posteriori des lois.

Le Conseil constitutionnel français rend régulièrement des décisions importantes en matière de régulation.

Liens : United States of America

441 G Street Northwest Washington, DC 20548 UNITED STATES Phone : (202) 512-6000

Liens : Europe

Thesaurus : Doctrine

Référence complète : Tuot, Th., La planète des sages, in Notre État, Robert Laffont, Paris, 2000, pp. 688-712.

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

La subsidiarité au sens courant est l'idée que le plus proche de l'action à mener doit y procéder plutôt que celui qui en est éloigné, car celui-ci est d'une part moins légitime à le faire et d'autre part moins efficace pour le arriver. La subsidiarité est donc un mécanisme à la fois d'efficacité et de légitimité. Elle constitue en cela un principe à la fois politique et de management : elle est un principe de gouvernance.

On la retrouve aussi sous la forme de principe juridique dans le Droit de l'Union européenne, avec un impact fort en Droit de la Régulation.

En effet, le principe de subsidiarité est un pilier de l'Union européenne. L'article 5 du Traité pose que le pouvoir qui permet aux autorités publiques d'agir juridiquement par l'édiction de normes et par la contrainte est et demeure aux États-membres. Mais - et c'est le sens même du Traité qui fonda la Communauté puis l'Union européenne - des compétences et des objectifs ont été conférés à l'Union européenne. Dans une première formulation, il a été posé que dans les "limites" de ces "compétences" et de ces "objectifs", l'Union européennes (en tant que personne juridique dotée de pouvoirs) et ses institutions - notamment la Commission - peut agir.

Le premier sens du principe de subsidiarité est donc celui que l'on pourrait dire d'une "souveraineté retenue" par les États-membres : tout ce qui n'est pas dévolu à l'Union européenne est conservé par les États-membres. Mais l'on mesure qu'autant il est assez aisé de cerner les "limites des compétences", autant le trait est moins sûr concernant les "objectifs". En effet, les "objectifs" conférées à l'Union sont si larges que, suivant l'interprétation données par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) il peut ne rester plus grand chose du principe de subsidiarité. C'est pourquoi le texte fût complété, un principe indiquant davantage une méthode.

En effet, le Traité pose tout d'abord qu'en certaines matières l'Union européenne a une "compétence exclusive". Elle est aussi exceptionnelle, puisque dévolue par les États-membres. Il s'agit principalement de la compétence douanière face à l'extérieure de l'Union, à la compétence monétaire face à l'extérieure de la zone euro, du droit de la concurrence et de la politique commerciale commune. Dès ce cas les institutions européennes exercent leurs pouvoirs normatifs pleins. Lorsqu'il n'y a pas eu ce transfert, l'Union européenne n'est plus légitime prima facie, c'est-à-dire que ses institutions ne peuvent agir puisque les États-membres demeurent les auteurs légitimes des normes. Mais s'il s'avère que l'Union européenne est la mieux placée pour atteindre efficacement les objectifs recherchés, même s'il n'y a pas de transfert de compétence exclusive à l'Union, alors si l'institution européenne peut apporter cette preuve comme quoi elle est "mieux placée" pour agir efficacement elle pourra agir.

Complété, l'article 5 du Traité dispose désormais : En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.

La fin de l'article 5 est avant tout méthodologique  : la méthode de la comparaison d'efficacité entre l'action d’État-membre - par exemple une loi - et l'action d'une institution de l'Union - par exemple un projet de  Réglemente élaboré par la Commission européenne. Lorsque les deux prétendent être le plus efficace pour atteindre l'objectif communautaire - par exemple - la sécurité énergétique, c'est alors la question de la charge de preuve qui se pose.

C'est là où le principe de subsidiarité prend toute sa puissance, qui est avant tout probatoire : c'est en effet à l'Union européenne, dans l'exemple précité la Commission européenne - de démontrer que c'est d'une façon prouvée son projet d'instrument (ici un règlement de sécurité énergétique) qui sera plus efficace pour servir l'objectif, que l’État-membre ne pourrait atteindre seul. Une très lourde charge de preuve à la charge de l'Union et de nombreux objet de preuve : l'incapacité de l’État-membre à atteindre cet objectif et la capacité de l'Union à l'atteindre. Si l'Union apporte cette preuve, alors, même s'il n'y a pas eu transfert de compétence exclusive à son profit, elle pourra agir et déposer le principe comme quoi en Europe le pouvoir normatif demeure dans les États-membres.

Le principe juridique de subsidiarité est essentiel en Droit de la Régulation. En effet, en raison de son lien avec le Politique, les régulations sectorielles ne sont généralement pas transférées à titre exclusif au niveau de l'Union européenne. C'est pourquoi il n'existe pas à proprement parler de "régulateurs européens", mais plutôt des agences qui centralisent l'information et son accès. Cependant et pour prendre l'exemple le plus topique la nécessité engendrée par la situation financière et bancaire en Europe a justifié que les mécanismes de régulation,de supervision et d'institution soient portés au niveau communautaire par l'Union Bancaire, à partir de 2010. Mais l'on ne retrouve pas les mêmes transferts par exemple en matière énergétique, ferroviaire ou de télécommunication, qui contrarieraient sans doute le principe juridique de subsidiarité. 

 

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

L’Autorité de régulation des Communication Électroniques et des Postes (ARCEP) est une autorité administrative indépendante (AAI). Elle a succédé en 2005 à l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART), laquelle fut créée en 1996. L’ART fût la première autorité de régulation du genre, inaugurant sous l’impulsion du droit de l’Union européenne la vague de libéralisation des secteurs naguère monopolistiques. L’ARCEP a une compétence plus vaste de celle de l’ART, régulant également les activités postales et a pour office de favoriser l’exercice d’une « concurrence effective et loyale au bénéfice des utilisateurs », ce qui la rapproche singulièrement de l’office général de l’Autorité de Concurrence. Ce régulateur doit encore tenir compte de l’ « intérêt des territoires » et de l’accès des utilisateurs aux services et aux équipements.

L’ARCEP a compétence pour réguler ce qui transporte les informations (contenant) tandis que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a compétence pour réguler les informations transportées (contenu). Cette distinction contenant/contenu fonde donc la dualité des régulateurs. Mais en premier lieu elle est fragile et peu utilisée à l’étranger, d’autres pays préférant avoir un seul régulateur pour le contenant et pour le contenu, dans la mesure où les informations peuvent passer par divers contenants (par ex. télévision ou le téléphone). En second lieu Internet rend difficile le maniement de cette distinction. C’est pourquoi on évoque parfois l’hypothèse de fusion des deux autorités de régulation.

L’ARCEP surveille les marchés de gros, dans lesquels les opérateurs doivent se comporter d’une façon transparente, non discriminatoire et publier une offre de référence. Il les prix et oblige à une orientation du tarif vers le coût, favorisant en aval c'est-à-dire (marché du détail) le dynamisme concurrentiel. Sur celui-ci, le régulateur veille à l’accès au réseau de transport et au réseau de distribution jusqu’au consommateur final (problématique de la boucle locale. L’ARCEP a le pouvoir d’attribuer les fréquences aux opérateurs, lesquelles sont des ressources rares et dont l’attribution peut être retirée à l’opérateur en cas de manquement. Mais au-delà de ces dimensions très techniques, le régulateur exerce une fonction politique parce qu’il projette dans le futur une certaine conception qu’il a du secteur. Ainsi il peut estimer ou non que la fibre optique doit être ou non favorisée et contraindre les opérateurs en ce sens. De la même façon, il peut adhérer à la théorie de la « neutralité du net » au nom de laquelle il va imposer aux propriétaires d’un réseau de l’ouvrir à des utilisateurs, même au prix d’investissements pour les accueillir, le régulateur fixant alors l’indemnisation d’un tel droit d’accès. L’adhésion à cette théorie, très discutée, n’est pas de nature technique mais politique.

L’ARCEP dispose du pouvoir précité de retirer des fréquences aux opérateurs ne remplissant pas leurs obligations et peut prendre des mesures conservatoires. Celles-ci peuvent être attaquées devant la Cour d’appel de Paris. L’autorité exerce un pouvoir de règlement des différends et d’un pouvoir de sanction. L’ARCEP publie un rapport annuel, façon pour l’Autorité de rendre des comptes, ce mode de responsabilité étant mis en balance avec son indépendance.

Comme en 1996 pour les télécommunications, à partir de 2005 le régulateur a ouvert à la concurrence les activités postales, tout en veillant à la poursuite du service public postal. La Loi du 9 février 2010, tout en transformant la Poste en société anonyme a veillé à maintenir ses obligations de service public et les a même étendues en lui confiant des obligations d’aménagement du territoire, montrant l’interrégulation avec la régulation environnementale. Par ce contrôle, le régulateur exerce un pouvoir plus politique que technique.

 

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

La régulation suppose que l'on passe d'une conception politique des actes (c'est-à-dire décision collective exprimée par l’État) ou civiliste (c'est-à-dire volonté exprimée par un individu ou plusieurs dans un contrat) à une vision économique des organisations marchandes dont l'action est l'expression du marché. Si l'on se fie à l'ajustement de l'offre et de la demande, c'est-à-dire à la rencontre des désirs et des intérêts, il y aura « autorégulation », ce à quoi correspond la « loi du marché », renvoyant au droit de la concurrence. L'acte des opérateurs n'est que le reflet de cette loi, en action.

La Régulation est alors plus complexe car elle vise autre chose que cette rationalité mécanique, soit en raison d’une défaillance du marché (par exemple en cas de monopole naturel) soit parce qu’on veut obtenir plus que ce que le marché peut donner (par ex. l’accès de tous à des biens communs, comme la santé, même pour des demandeurs insolvables). Dans ce cas, sont élaborées des règlementations, interventions ex ante désignées en anglais par le terme regulation. La règlementation est adéquate si elle incite des agents économiques à adopter des comportements qui concrétisent le but recherché par l’auteur de la règlementation.

Cette utilisation stratégique du droit nécessite alors le détour nécessaire par l'analyse économique du droit, c'est à dire l'analyse du droit dans ses effets économiques.

Cette discipline créée aux États-Unis par Ronald Coase (Prix Nobel d’économie en 1991) peut être simplement descriptive et révéler quels effets économiques a produit le droit. Cette conception, qui est celle de Richard Posner, fait de l’analyse économique du droit un outil d'expertise pour le décideur politique, qui peut en tenir compte pour éventuellement modifier la règlementation. Une conception plus radicale de l'analyse économique du droit, dite "normative", consiste à soutenir que les conclusions de l'analyse obligeraient le décideur à suivre celle-ci.

L'enjeu est décisif car dans le premier cas le droit et les juristes - notamment le Législateur et le juge - ont encore une existence autonome, dans le second cas ils n'existent plus, ne sont plus que la forme contraignante et explicite de la "loi du marché" dont la nature est a-juridique.

Même sous sa simple forme descriptive, l'analyse économique du droit est généralement rejetée en France en ce qu'elle méconnaitrait le rôle du droit en ce qu'il porte des valeurs morales. C’est en réalité méconnaître sa fonction simplement descriptive, instructive et utile, et le fait qu'elle ouvre au contraire l'amplitude du choix rationnel offert aux décideurs politiques. Plus encore, la régulation n'est pas seulement une discipline technique, elle est aussi une question politique et philosophique. L’analyse économique descriptive lui est plus adéquate que l’analyse économique normative du droit, laquelle prétend vassaliser, voire détruire les autres disciplines, qui sont substantiellement méconnues.

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

La notion d'agence, parfois confondue avec celle de régulateur, désigne un mode de déconcentration de l’État. S’éloignant d’une organisation jacobine, celui-ci a dévolu des responsabilités régaliennes à des organismes, souvent éloignés géographiquement de la capitale politique. Ces agences illustrent une décentralisation technique car elles sont en charge de tâches opérationnelles et d’expertises particulières, par exemple en matière d’emploi, d’environnement ou de santé. Ce modèle, très courant dans les pays scandinaves, est souvent associé à des organisations fédérales, comme aux États-Unis. Il est éloigné du modèle français qui demeure construit sur un État centralisé. La France n'a développé que quelques agences (par ex. France Trésor, ou encore les Agences Régionales de Santé.

 

Dans une toute autre perspective et il s'agit alors d'une homonymie, la théorie financière américaine a développé la notion d’agence (agency) pour désigner la relation entre le mandataire social (agent) et l'actionnaire (principal), celui-ci donnant pouvoir au premier d’agir en son nom pour servir son intérêt. L’asymétrie d’information et le conflit d’intérêts marquent cette relation, ce qui a conduit cette théorie à développer de multiples garde-feux, relayés par le droit de la régulation financière.

11 février 2020

Sur le vif

L'arrêt rendu le 15 janvier 2020 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation concerne l'Autorité de Régulation des Transports (ART), mais sa portée dépasse cette Autorité. 

 

Le cas était le suivant : Refus par la Cour de cassation de conditionner l'exercice du pouvoir du Régulateur du Rail de saisir le juge judiciaire de saisir celui-ci en référé précontractuel afin d'assurer l'équité d'un marché public pour une concession de travaux sur une autoroute à la démonstration d'une atteinte à des intérêts particuliers d'une entreprise candidate.

L'Autorité de Régulation du secteur ferroviaire a été dotée par la Loi d'un grand nombre de pouvoirs. Comme nous sommes dans le Droit de la Régulation, lequel doit s'analyser d'une manière "téléologique", c'est-à-dire par rapport aux buts poursuivis par le Législateur qui a mis en place le Régulateur dans le système économique et social particulier. 

Dans le secteur ferroviaire, il s'agit notamment de faire entrer progressivement de la concurrence dans le secteur. C'est pourquoi l'Autorité a reçu le pouvoir de saisir le président du Tribunal judiciaire d'un référé pré-contractuel.

Dans le cas présent, une entreprise concessionnaire d'une Autoroute, la société ASF, avait mis en oeuvre une procédure de passation d'un marché public pour l'entretien de la chaussée de celle-ci. L'Autorité avait assigné la société ASF devant le juge des référés du TGI de Nanterre en alléguant que la méthode de notation retenue par celle-ci n'était pas objective et demandé l'annulation de la procédure de passation du marché, que l'Autorité estime "irrégulière".

Le Président du TGI a rendu une Ordonnance de référé le 9 janvier 2018 en estimant qu'aucune preuve n'avait été apportée de l'atteinte aux intérêts des entreprises ayant concouru au marché public, puisque la méthode de notation des offres avait produit un écart de notes faible, justifiant ainsi le rejet de la demande de l'Autorité.

La Cour de cassation casse l'arrêt qui reprend ce raisonnement en affirmant, comme l'avait soutenu l'Autorité de Régulation elle-même : que tout d'abord l'Autorité a comme les entreprises impliquées dans la passation du marché le pouvoir de saisir le juge d'un référé précontractuel.

Mais elle ajoute que si les entreprises le font parce qu'elles sont "susceptibles d'être lésées" par la méthode de la passation du marché public, l'Autorité de Régulation quant à elle le fait à un tout autre titre. Elle le précise en ces termes : " cette autorité, chargée de la défense de l’ordre public économique en veillant, notamment, au respect des règles de concurrence dans les procédures d’appel d’offres, n’a pas, lorsqu’elle exerce cette action, à établir que le manquement qu’elle dénonce a, directement ou indirectement, lésé les intérêts de l’une des entreprises candidates.".

La Cour en conclut que le juge judiciaire qui rejette l'action en référé de l'Autorité parce qu'elle n'avait pas démontré que les critères retenus par la société concessionnaire portait un préjudice aux entreprises candidates méconnait ce pourquoi ce pouvoir d'action avait été conféré au Régulateur, puisque l'Autorité n'alléguait pas que le marché n'avait pas été attribué au meilleur candidat.

En effet, la Cour de cassation relève que le juge des référés relève lui-même qu'objectivement la méthode de notation, notamment dans la technique de pondération, le prix en résultant n'étant pas le prix objectivement adéquat, ce qui contrarie l'ordre public économique, ce dont l'Autorité est gardienne. 

Ainsi la Cour de cassation annule l'ordonnance qui rejette l'action de l'Autorité car les entreprises n'étaient pas lésées, mais de cela l'Autorité n'est pas gardienne, mais même sans aucun dommage subi par un opérateur, la règle d'élaboration des prix était elle contestable et c'est justement pour cette raison objective que le pouvoir de saisir le juge judiciaire d'un référé pré-contractuel avait été donné par la Loi à l'Autorité ferroviaire. 

L'arrêt de cassation annule l'Ordonnance de référé puisque celle-ci, sous prétexte que les intérêts des entreprises n'était pas en jeu (ce dont l'Autorité n'est pas en charge) avait négligé de contrôler ce que lui demandait l'Autorité (ce dont l'Autorité est gardienne), à savoir si "objectivement si la méthode de notation retenue et appliquée par la société ASF n’était pas, par elle même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères annoncée aux candidats".
 

 

La portée de la solution de principe : le Régulateur a le pouvoir de saisir le juge judiciaire des référés en prolongement de son  propre pouvoir de régulation, de nature objective d'ordre public économique, sans souci des intérêts particuliers des entreprises parties à la situation économique en cause

Cet arrêt est très important et pour le Droit processuel, pour les relations entre le Droit public et le Droit privé mais encore pour la façon dont il convient de comprendre le Droit processuel de la Régulation.

Les pouvoirs processuels d'une Autorités de Régulation doivent se comprendre toujours comme un prolongement de ses pouvoirs de "régulation" et non pas comme une transformation de l'Autorité, soit comme un Tribunal ordinaire ou comme une partie ordinaire dans un procès ordinaire.

Ainsi, cet arrêt réaffirme que le but du Régulateur est la Régulation du secteur et non pas la protection des intérêts particuliers des entreprises. 

Ainsi, même si un même droit subjectif processuel d'action (ici le droit de saisir le juge en référé pré-contractuel) est conféré aux entreprises et à des entreprises, cela n'est pas au même titre, et en conséquence le régime n'est pas le même.

Le Régulateur a ainsi plus de contraintes en raison de l'ordre public mais aussi plus de pouvoirs (de contrôle sur l'opérateur notamment) mais il n'est pas là pour protéger par ses pouvoirs les intérêts particuliers des entreprises en compétition. 

Cela est vrai pour des entreprises en compétition pour un marché public ; cela est plus généralement vrai pour un marché régulé. 

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15 janvier 2020

Thesaurus : 02. Cour de cassation française

28 juin 2019

Sur le vif

Il est souvent observé, voire théorisé, voire conseillé et vanté, que la Compliance est un mécanisme par lequel des Autorités publiques internalisent des préoccupations politiques (par exemple environnementales) dans des entreprises de grande dimension, celles-ci l'acceptant dès le départ (en Ex Ante) car elles sont plutôt d'accord avec ces "buts monumentaux"  (sauver la planète) et que cette vertu partagée est bénéfique à leur réputation. L'on observe que cela pourrait être la voie la plus fructueuse dans les configurations nouvelles, comme celle du numérique

Mais, et l'on a souvent rapproché le Droit de la Compliance du mécanisme contractuel, cela n'est pertinent que si les deux intéressés le veulent bien. Cela est vrai techniquement, par exemple pour la Convention judiciaire d'intérêt public, laquelle requiert consentement explicite. Cela est vrai d'une façon plus générale en ce que l'entreprise voudra bien se structurer pour réaliser les buts politiquement poursuivis par l'État. Réciproquement, les mécanismes de compliance fonctionnent si l'État veut bien admettre les logiques économiques des acteurs globaux ou/et, s'il y a possibles manquements, ne pas poursuivre ses investigations et fermer le dossier qu'il a entrouvert, à un prix plus ou moins élevé.

Mais il suffit de dire Non.

Comme en matière contractuelle, la première liberté est négative et tient dans l'aptitude de dire Non.

L'Etat peut le faire. Mais l'entreprise aussi peut le faire.

Et Daimler vient de dire Non. 

 

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Publiquement, notamment par le biais d'un article dans le Wall Street Journal du 28 juin 2019. 

L'entreprise expose dans un avertissement au marché (warning profit) qu'elle est l'objet d'une exigence de la part de l'Autorité allemande de la sécurité automobile d'une allégation de fraude, par l'installation d'un logiciel, visant à tromper les instruments de mesure des émissions des gazs à effet de serre sur les voitures utilisant du diesel.

Il s'agit donc d'un mécanisme de Compliance à visée environnementale qui aurait été contrée, d'une façon intentionnelle. 

Sur cette allégation, le Régulateur à la fois avertit l'entreprise de ce qu'elle considère comme un fait, c'est-à-dire la fraude au dispositif de Compliance, et l'assortit d'une mesure immédiate, à savoir le retrait de la circulation de 42.000 véhicules vendus par Daimler avec un tel dispositif.

Et l'entreprise répond : "Non".

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Ce qui ne fait sans doute que commencer, puisqu'un Non clôt le dialogue de l'Ex Ante pour projeter dans l'Ex Post des procédures de sanction, appelle 6 observations :

 

  • 1. Sans doute Daimler, entreprise allemande de construction automobile, a-t-elle en tête dans cette allégation de fraude au calcul de pollution de ses voitures diesel ce qu'il arriva à sa concurrente Volkswagen : à savoir plusieurs milliards de dollars d'amende, pour défaut de Compliance dans une hypothèse similaire (dite du dieselgate). Le choix stratégique qui est alors fait dépend de l'éducation par l'expérience de l'entreprise, qui bénéficie à ce titre d'un cas précédent qui a eu un coût très important. Ainsi instruite, la question qui se pose est de mesurer le risque pris à refuser toute coopération, quand l'entreprise peut pressentir que celle-ci aboutira tout de même à un tel montant....

 

  • 2. Par ailleurs, l'on retrouve la difficulté de la distinction de l'Ex Ante et de l'Ex Post. En effet, certes, dire Non va impliquer pour l'entreprise un coût d'affrontement avec le Régulateur, puis les juridictions, périphériques ou de recours. Mais en Allemagne, le Gouvernement lui-même, à propos d'une banque menacée de poursuites au titre de la Compliance et quasiment sommée par le Régulateur américain de payer "de son plein gré" de payer une amende transactionnelle, avait estimé que cela n'était pas normal, car cela doit être les juges qui punissent, au terme d'une procédure contradictoire et après des faits établis.

 

  • 3. Or, il ne s'agit ici que d'une allégation, d'affirmations vraisemblables, de ce qui juridiquement permet de poursuivre, mais qui ne permet pas de condamner. La confusion entre la charge de preuve, qui suppose l'obligation de prouver les faits avant de pouvoir sanctionner, et la charge de l'allégation, qui ne suppose que d'articuler des vraisemblances avant de pouvoir poursuite, est très dommageable, notamment si l'on est attaché aux principes du Droit répressif, comme la présomption d'innocence et les droits de la défense. Cette distinction entre ces deux charges probatoires est au coeur du système probatoire, et le Droit de la Compliance, toujours à la recherche de plus d'efficacité, a tendance à passer de la première à la seconde, pour donner plus de pouvoir aux Régulateur. Puisque les entreprises sont si puissantes ....

 

  • 4. Mais la question première apparaît alors : quelle est la nature non plus tant de la mesure future à craindre, à savoir une sanction qui pourrait prise plus tard, contre Daimler, si le manque s'avère, ou qui ne le sera pas si le manquement n'est pas établi ; mais quelle est la nature de la mesure immédiatement prise, à savoir le retour de 42.000 véhicules ?

 

  • Cela peut paraître une mesure Ex Ante. En effet, la Compliance suppose des voitures non-polluantes. Le Régulateur peut avoir des indices selon lesquels que ces voitures sont polluantes et que le constructeur n'a pas pris les dispositions requises pour qu'elles le soient moins (Compliance), voire s'est organisé pour que ce manquement ne sont pas détecté (fraude à la Compliance).

 

  • Cette allégation permet de penser qu'il y a un risque qu'elles le soient. Il faut donc immédiatement les retirer de la circulation, pour la qualité de l'environnement. Ici et maintement. La question des sanctions se posera après, avoir son appareillage procédural de garanties pour l'entreprise qui sera poursuivie. Mais voyons cela du côté de l'entreprise : devoir retirer 42.000 véhicules du marché constitue un grand dommage et ce que l'on appelle volontiers en Droit répressif une "mesure de sûreté" prise alors que les preuves ne sont pas encore réunies pourrait mériter une requalification en sanction. La jurisprudence est à la fois abondante et nuancée sur cet enjeu de qualification.

 

  • 5. Alors, retirer ces voitures, c'est pour l'entreprise admettre qu'elle est coupable, accroître elle-même la punition. Et si à ce jeu, que l'on appelle aussi le "coût-bénéfice", autant pour l'entreprise affirmer immédiatement au marché que cette exigence du Régulation est infondée en Droit, que les faits allégés ne sont pas constitués, et que de tout cela les juges décideront. L'on ne sait pas davantage si ces affirmations de l'entreprise sont exactes ou fausses mais devant un Tribunal personne ne pense qu'elles valent vérité, elles ne sont que des allégations. Et devant une Cour, un Régulateur apparait comme devant supporter une charge de preuve en tant qu'il doit défendre l'ordre qu'il a émis, prouver le manquement dont il affirme l'existence, ce qui justifie l'exercice qu'il fait de ses pouvoirs. Le fait qu'il exerce son pouvoir pour l'intérêt général et en impartialité ne diminue pas cette charge de preuve.

 

  • 6. En disant "Non", Daimler veut retrouver ce Droit classique, si mis de côté par le Droit de la Compliance, à base de charge de preuve, moyen de preuve, et interdiction de mesures punitives - sauf dommages imminents et très graves - avant qu'un comportement a été sanctionné au terme d'une procédure de sanction. 
  • Certes, l'on serait tenté de faire une analogie avec la situation de Boeing dont les avions sont cloués au sol par le Régulateur en ce que celui-ci estime qu'ils ne remplissent pas les conditions de sécurité, ce que l'avionneur conteste, mesure Ex Ante qui ressemble à la mesure de rétraction du marché que constitue la demande de rappel des voitures ici opérée.
  • Mais l'analogie ne fonctionne pas sur deux points. En premier lieu, l'activité de vol est une activité régulée que l'on ne peut exercer que sur autorisation Ex Ante de plusieurs Régulateurs, ce qui n'est pas le cas pour le fait de proposer à la vente des voitures ni de rouler avec. C'est là où le Droit de la Régulation, qui souvent se rejoignent, ici se distinguent. En second lieu, la possibilité même que des avions dont il ne soit pas exclu qu'ils ne soient pas sûr est suffisant pour, par précaution, interdire leur décalage. Ici, ce n'est pas la sécurité des personne qui est en jeu, et sans doute pas même le but global de l'environnement, mais la fraude vis-à-vis de l'obligation d'obeïr à la Compliance. Pourquoi obliger au retrait de 42.000 véhicule ? Si ce n'est pour punir ? D'une façon exemplaire, afin de rappeler par avance et à tous ce qu'il en coûte de ne pas obéir à la Compliance ? Et là, l'entreprise dit : "je veux un juge". 

 

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13 décembre 2018

Événements : JoRC

Présentation du thème par The Journal of Régulation & Compliance (JoRC)

Pour construire une branche du Droit, il faut certes des notions qui lui soient propres, de la doctrine qui en ait souci, des méthodes qui la caractérisent, mais plus pragmatiquement, il faut des "outils". L'Europe relève de ces deux dimensions, mêlées : des idées et de l'appareillage technique. Parfois elle a sombré dans trop de technicité oubliant la formulation des buts, parfois elle a énoncé des buts grandioses sans disposer de moyens. En matière de Compliance, si l'on parvient à identifier des "buts monumentaux" et à les faire endosser par des entités publiques et privées en position légitime et efficace pour les porter, encore faut-il dans le même temps aligner les "outils" européens. Justement, entre un Droit national qui s'arme et un droit international qui semble passer directement au stade de l'extraterritorialité, l'Europe a-t-elle les outils institutionnels et juridiques requis pour mettre en place les idées de Compliance qu'elle est apte à formuler politiquement ?

 

Pour aborder ce thème :

La conférence est présidée et animée par Didier Rebut, professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).

 

Le thème est principalement traité par :

Jean-Claude Marin, Président du conseil d'administration du groupement d'intérêt public "Justice coopération internationale" (JCI).

 

Le premier discutant est :

Arnaud de La Cotardière, avocat à la Cour, cabinet Linklaters.

 

 

 

Cette session du Cycle de conférences Pour une Europe de la Compliance  se déroulera jeudi le 13 Décembre 2018 de 18h30 à 20h30 à l'Amphithéâtre de la bibliothèque Sainte-Barbe, 4 rue Valette (75005).

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Se reporter aux modalités d'inscription pour cette conférence.

La participation à chaque séance est validée au titre de la formation continue des avocats (2h).

L'assistance à la conférence peut être également validée au titre de la formation continue des magistrats.

 

Revenir à la présentation générale du Cycle de conférences, notamment aux autres sessions

15 novembre 2018

Événements : JoRC

CONFÉRENCE ANNULÉE

 

Présentation du thème par The Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

L'appareillage de la Compliance est souvent présenté dans ses techniques, ses textes, ses coûts, mais l'on passe sous silence ceux qui sont "concernés" par cet énorme dispositif, actuel et à venir. La première idée est que le bénéficiaire de la Compliance, c'est le Droit lui-même, qui est concrétisé par l'assujetti qui veille lui-même à l'effectivité de la norme. Si l'on se soucie des sujets de droit et l'on reprend l'affirmation juridique classique selon laquelle il ne peut être ni dans l'objet social ni dans l’intérêt social d'une société de violer la loi, l'on affirme que ce respect soutenu des règles se développe pour ceux que l'être sociétal sert : l'actionnaire. Puis, empruntée au vocabulaire de la finance et de la gestion, l'expression de "partie prenante" renvoie à l'idée que d'autres intérêts sont servies. Mais la Compliance peut aller beaucoup plus loin que cela, notamment à travers la notion de "buts monumentaux". Il peut s'agir non seulement de l'Europe, en ce qu'elle se bâtit en faisant place aux êtres humains, mais encore de l'idée plus générale de "place" où les êtres humains ont de l'espace et une position, donnée par le Droit, laissée par les entreprises qui portent la Compliance. Une telle ossature pourrait contribuer à construire l'Europe, y compris celle de la migration.

 

La conférence sera présentée et animée par François-Guy Trébulle, professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), directeur de l'Ecole de Droit (Paris I)

Pour aborder et débattre sur ce thème :

Raymond Soubie, membre du Conseil Économique, Social et Environnemental, président de Alixio.

Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

 

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Cette session du cycle de conférences Pour une Europe de la Compliance  se déroulera le jeudi 15 Novembre 2018 de 18h30 à 20h30 dans les locaux de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

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Lire les conditions d'inscription, et les conditions d'accès, impératives pour des raisons de sécurité.

La participation à chaque séance est validée au titre de la formation continue des avocats (2h).

L'assistance à la conférence peut être également validée au titre de la formation continue des magistrats.

 

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4 octobre 2018

Événements : JoRC

Présentation du thème par The Journal of Regulation & Compliance  : Si l'on prend comme acquis le projet d'une construction de l'Europe de la Compliance ..., encore faut-il savoir la part qu'y prend le Droit et l’Économie, et la forme de l'articulation entre les deux. En effet et parfois, à écouter les juristes, cela ne serait affaire que de droit, tandis qu'à écouter les économistes, cela ne serait affaire que d'économie .... Même à supposer que l'on sorte de cela, et que cela ne soit pas pour faire taire l'autre, il semble encore que la considération de la logique respective puisse se faire sur un objet précis, qui sera plutôt tel ou tel secteur, tant que celui-ci ne prétend dominer par sa logique tous les autres ce à quoi tend le secteur financier. Ainsi l'on peut trouver une interdisciplinarité concrète entre le Droit et l’Économie dans le secteur de l'énergie ou le secteur de l'information ou le secteur bancaire, mais elle apparaît beaucoup plus difficile lorsque la perspective devient très générale et couvre l'Europe toute entière, prise dans sa globalité par exemple à travers le dynanisme concurrentiel, l'innovation ou les droits de l'homme. Or, la Compliance peut certes demeurer dans les contours d'un secteur particulier mais l'idée d'une "Europe de la Compliance" prendrait toute sa dimension si elle s'appuie elle-même sur une perspective très générale, comme la protection des personnes ou le souci de la planète. Mais lorsque les ambitions deviennent si hautes, les disciplines peuvent-elles encore avoir des points de contact ?

 

Pour présenter, développer et discuter de ce thème, interviendront : 

-  Philippe Aghion, professeur d'économie au Collège de France,  

Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à Sciences-Po (Paris);

- Jean-Pierre Landau, vice-gouverneur de la Banque de France  

- Alain Supiot, professeur de droit au Collège de France.

 

 

Cette session du Cycle de conférence Pour une Europe de la Compliance  se déroule de 18h30 à 20h30 le 4 Octobre 2018 au Collège de France, 11 Place Marcelin Berthelot - 75005 Paris. Salle 5.

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L'inscription se fait auprès du Journal of Regulation & Compliance (JoRC) :

Contact : Madame Anouk Le Guillou : anouk.leguillou@mafr.fr 

L'entrée à cette conférence est gratuite et accessible à tous dans la limite des places disponibles.

   

 

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6 septembre 2018

Événements : JoRC

Présentation du thème par The Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

Les "vertus de la Compliance" renvoient par le terme même à la part que l'éthique prend dans les systèmes de compliance. Les points de contact, et peut-être davantage, entre la Compliance, la responsabilité sociétale des entreprises, leurs engagements et le système normatif des chartes le montrent. Pourtant, si l'on observe l'Europe comme un marché et l'expression de la hiérarchie des normes, l'on y voit davantage contrainte et ordre public. Mais les nouveaux développements normatifs de l'Europe, notamment vers la "finance soutenable" et peut-être le souci d'autrui, le souci de l'avenir, le souci du lointain, pourraient créer de nouveaux rapports, voire une nouvelle intimité. Par ailleurs, la Compliance, Droit nouveau, ne pourrait-il pas faire naître de "nouvelles vertus", notamment dans des acteurs jusqu'ici perçus d'une façon assez pauvre, les entreprises qui sont censées ne rechercher que leur profit,même en le calculant mieux ? En faisant entrer le temps dans le Droit et les Marché, la Compliance pourrait ainsi construire l'Europe sur l'engagement.

 

La conférence est prononcée par Pierre Sellal, président de la Fondation de France.

 

La séance est présentée et modérée par Monique Canto-Sperber, philosophe.

 

Didier Martin, avocat à la Cour d'appel de Paris, est son "premier discutant"

 

Cette session du Cycle de conférences Pour une Europe de la Compliance  se déroulera le 6 Septembre 2018 de 18h30 à 20h30.

Elle se déroulera dans les locaux de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), Vaugirard 1, 391 rue de Vaugirard, 75015 Paris (cliquer sur le lien pour des informations sur les moyens de transport).

 

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Se reporter aux modalités d'inscription pour cette conférence.

 

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 La participation à chaque séance est validée au titre de la formation continue des avocats (2h).

L'assistance à la conférence peut être également validée au titre de la formation continue des magistrats.

 

 

 

 

19 juillet 2018

Parutions : I. Articles Isolés

La Commission européenne a condamné Google pour abus de position dominante, l'a condamné à une très lourde amende et lui a enjoint de se mettre en conformité sous 90 jours, dans un programme dont Google a la seule responsabilité, faute de quoi une sanction calculée en pourcentage de la société Alphabet sera prononcée.

Les commentaires partent dans tous les sens. Mais ils sont plutôt caustiques.

Dans l'ensemble, il s'agit plutôt d'affirmer que malgré le montant élevé de la sanction prononcée par la Commission européenne, qui a fait un petit choc parce qu'elle montrerait que l'Europe existerait..., cela ne fera pas grand chose à Google.

C'est par exemple l'analyse que l'on va trouver dans un long article d'un journal américain, ou bien dans un long article d'un journal anglais, ou bien dans un long article d'un journal français. Sans évoquer ici les commentaires plus politiques!footnote-113.

On y retrouve tous les arguments pertinents. Tout d'abord que des montants qui nous paraissent très élevés ne le sont pas tant pour des entreprises qui sont portées par des marchés financiers qui compensent, les entreprises craignant plus les ordres et les interdictions que les sanctions pécuniaires. C'est pourquoi le sujet actuel du Droit de la concurrence est bien le contrôle des concentrations, c'est-à-dire le "pouvoir de dire Non".

Mais précisément, il est étonnant de ne pas accorder d'intérêt au fait que la partie la plus importante de la décision de la Commission européenne n'est pas dans le prononcé de l'amende, qui porte sur un comportement passé, mais sur un ordre pour le futur de reconfigurer ses relations contractuelles, c'est-à-dire l'ouverture même de son système, pour que puissent se développer des applications nouvelles inventées par des tiers indépendants. Que Google soit une pépinière et non un étouffoir. Il est d'ailleurs remarquable que l'entreprise dans son premier argumentaire pour soutenir l'appel qu'elle forme est d'affirmer que sans elle et son soutien les déploiements ne s'opéreraient pas.

Ainsi, la logique est la même que pour les plateformes. Simplement le mécanisme est ici le contrat. Lorsqu'il est affirmé parfois que l'essentiel est la technologie, le Droit se contentant de mettre en musique les avancées technologiques, le Droit suivant l'innovation technologique (c'est quasiment l'incipit de tout article de doctrine et de tout commentaire sur un réseau social), la décision de la Commission montre l'inverse : le contrat est au contraire l'Ex Ante par lequel l'entreprise maîtresse pose le cadre dans lequel les autres sont autorisés à se déployer.

C'est donc face à un appareillage contractuel conçu par Google et visé sous trois aspects par la Commission que le Droit de la concurrence a été mobilisé pour qu'à l'avenir cela cesse. Car l'objet de la décision n'est pas le passé, lequel a été réglé par l'amende : son objet est le futur pour que l'appareillage contractuel Ex Ante construit par Google soit reconstruit afin que l'innovation ne soit plus étouffée.

ET LA QUESTION EST LÀ.

En effet, le Droit de la concurrence est une branche du Droit Ex Post. C'est pourquoi son pouvoir est celui de prononcer des amendes.

Les premiers commentaires par les économistes n'ont pas été de commenter le montant de la sanction mais les effets incitatifs sur les uns et les autres à l'avenir.

En effet Google a utilisé l'instrument juridique par lequel les parties organisent et structurent l'avenir : le contrat. Le contrat est depuis toujours analysé comme un élément de prévision et d'organisation de l'avenir. Même si c'est davantage le Droit des sociétés qui à travers le contrat de société sur lequel se construisent les entreprises, puis le Droit de la distribution qui à travers le contrat-cadre sur lequel se construisent les réseaux, le phénomène est le même. Mais le Droit n'a pas trouvé les qualifications, soit les notions de "groupe de contrats" n'en rendant pas compte, soit des notions imaginées comme "écosystème" ou des mots tautologiques comme "plateforme" n'apportant pas matière au Droit.

Le Droit de la concurrence ne se saisit de l'avenir que dans la part du Droit de la Régulation qu'il a en son sein, à savoir le contrôle des concentrations, enjeu majeur aujourd'hui. Mais les entreprises, et c'est leur liberté, peuvent étendre leur maîtrise structurelle de l'avenir, par d'autres formes juridiques que la concentration, de multiples contrats le permettant.

Les instruments comme des injonctions de faire ou de ne pas faire pour prévenir des comportements précis ou des mesures provisoires ou conservatoires ne sont pas à la hauteur des enjeux.

La Décision de la Commission européenne a donc fait une alliance, alliance faite depuis toujours par ailleurs : entre le regard Ex Post sur des comportements et les exigences prospectives de la Compliance.

En effet, la Commission européenne dans la partie la plus importante de la décision, demande à Google sous "sa seule responsabilité" de faire en sorte que toutes les dispositions contractuelles n'aboutissent plus à étouffer l'innovation mais au contraire à l'accueillir.

La façon dont cela sera fait, Google a 90 jours pour l'imaginer, le négocier, le mettre en pratique, cela est son affaire. L'Autorité publique se contente de donner le but et les délais.

L'alliance du Droit de la concurrence et du Droit de la compliance, le but étant donné par l'Autorité publique, le poids des moyens portant sur l'entreprise pour atteindre à l'avenir le but.

A cette aune-là, sans doute les analyses faites par la presse sans beaucoup de considération pour le Droit et la Compliance sont-elles à nuancer.

Mais si l'on reprend plutôt la perspective des questions, l'on débouche alors sur une question plus générale.

 

Est-ce que l'alliance entre le Droit de la Concurrence et des techniques de Compliance pourra-t-elle suffire pour réguler l'espace numérique ?

Les économistes ont tendance à le penser, affirmant à juste titre que le Droit de la Régulation tel qu'il fût constitué, ancré dans des secteurs, ne peut plus être utilisé puisque le numérique n'est pas un secteur, ce qui est vrai.

Mais si l'on considère que le Droit de la Régulation s'est lui-même transformé en Droit de la Compliance, Droit de la Compliance qui n'est pas sectoriel, qui demeure Ex Ante et global, qui contrairement au Droit de la concurrence n'est pas limité aux seules considérations économiques et qui n'est pas réduit aux seules "techniques" de Compliance, l'on peut penser qu'un Droit de la Compliance, dont le Droit européen des données personnelles (sans rapport avec le Droit de la concurrence) est un exemple,  est le plus à même de saisir ce nouvel espace dans lequel nous vivons désormais. 

30 mai 2018

Événements : JoRC

Présentation du thème par The Journal of Regulation & Compliance : La Compliance est souvent présentée comme un ensemble de contraintes et de coûts pour les entreprises, voire pour les États Européens. Cela est compréhensible, puisque c'est avant tout par les sanctions que cette matière s'est concrétisée en Ex Post et par des obligations de mise en place de dispositions En Ante très onéreux qu'il prend vie aujourd'hui. C'est en quelque sorte la police qui entre dans l'entreprise, prenant de ses forces pour d'autre chose que sa fonction économique naturelle. Le fait que ce corpus soit principalement d'origine américaine, manié d'une façon extra-territoriale par des autorités américaines, et que les textes en Europe semblent parfois du "traduit-collé" accroissent cette impression du Droit comme un "handicap".

Et si c'est l'inverse ? Si les entreprises avaient là une "occasion à saisir" ? En effet, plutôt que de faire une guerre de tranchée vis-à-vis des États-Unis, construire l'Europe ; plutôt que de réduire les coûts et le montant des amendes, s'approprier les buts du Droit de la Compliance, qui ne sont pas écrits, et dont les États-Unis ne disposent pas. C'est à l'Europe de les formuler et aux entreprises d'y concourir, n'existant pas seulement dans leur capacité à apporter leurs forces et leur position stratégique mais encore leur conception de ce pour quoi la Compliance est faite : par exemple l'expression et la prise en charge du souci environnemental.

 

 

Pour aborder ce thème, Xavier Musca, Directeur général délégué du Groupe Crédit Agricole , Président du conseil d’administration d’Amundi.

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Cette session sera présentée et modérée par par Jean-Jacques Daigre, professeur de droit à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

Premier discutant : Pierre Vimont, Senior Fellow, Carnegie Europe.

Cette session du Cycle de conférence Pour une Europe de la Compliance  se déroulera le 30 Mai 2018 de 18h30 à 20h30 dans les locaux de Sciences-Po, 13 rue de l'Université 75007 Paris , Amphithéâtre Erignac (merci de vous munir d'une pièce d'identité).

 

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Se reporter aux modalités d'inscription pour cette conférence.

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La participation à chaque séance est validée au titre de la formation continue des avocats (2h).

L'assistance à la conférence peut être également validée au titre de la formation continue des magistrats.

 

20 mars 2018

Événements : JoRC

Présentation du thème par The Journal of Regulation & Compliance (JoRC)  :

Le Droit de la Régulation est téléologique, prend son sens et sa force dans les fins qu'il poursuit. En cela, il est instrumental et pragmatique, constitué par un ensemble d'outils au service d'une finalité et il est aussi conceptuel en ce que les buts poursuivis sont posés d'une façon extérieure. Il s'agit par exemple de prévenir les risques ou d'assurer la loyauté des rapports commerciaux ou de rendre un système économique et financier "soutenable". Les mécanismes de Compliance internalisant le Droit de la Régulation dans les entreprises, ils mettent à la charge de celles-ci le devoir de concrétiser ces ambitions, par exemple la prévention et la lutte contre la corruption, ce pourquoi les entreprises sont "bien placées" parce qu'elles sont internationales et parce qu'elles sont près de l'information.

Ainsi, la détermination des buts et l'évaluation des moyens pour les atteindre est ce qui constitue en grande partie la cause pour laquelle les dispositifs techniques sont adoptés. Ces raisons et objectifs justifient que les dispositifs de Compliance prévalent sur des principes juridiques plus classiques, au point parfois de créer des désordres, par exemple procéduraux ou institutionnels. Si l'on regarde non plus tant vers le passé ou le présent mais vers l'avenir, ce que le dynamisme même du Droit de la Compliance incite à faire, et si l'on posait comme conjecture que le but de la Compliance d'une part justifie un déploiement européen et que d'autre part la force de la Compliance pourrait participer à la construction européenne, une cohérence et lisibilité pourraient en être dégagées.

 

Pour traiter ce thème, intervient Charles Duchaine, directeur de l'Agence Française Anticorruption (AFA)

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Cette session sera présentée et modérée par Jean-Christophe Roda, professeur à l'Université Jean Moulin (Lyon III).

 

Premier discutant : Olivier Salustro, président de la Compagnie régionale des Commissaires aux Comptes de Paris.

 

Cette session du Cycle de conférence Pour une Europe de la Compliance  se déroulera le 12 avril 2018 de 18h30 à 20h30 dans les locaux de l'Université Panthéon-Assas (Paris II), centre Vaugirard 1, 391 rue de Vaugirard, 75015 Paris.

 

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Inscription auprès de Madame Anouk Le Guillou : anouk.leguillou@mafr.fr

Pour plus d'informations se reporter aux modalités d'inscription pour cette conférence

 

 

Revenir à la présentation générale du Cycle de conférences, notamment l'accès aux autres sessions

La participation à chaque séance est validée au titre de la formation continue des avocats (2h).

L'assistance à la conférence peut être également validée au titre de la formation continue des magistrats.

 

3 mars 2018

Événements : JoRC

Le 2 mars 2018, le Président de la Cour de Justice de l'Union européenne Koen Lenaerts est venu à Paris inaugurer le cycle de conférences organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC), cycle qui a pour titre général : Pour une Europe de la Compliance. S'y associent l'École d'affaires publiques de Sciences po, le Département d'économie de Sciences po, l'École doctorale de droit privé de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) et l'École de droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).  De nombreuses personnalités y prendront la parole.  Ce cycle donnera lieu à l'ouvrage qui sera publié dans la Série Régulations & Compliance sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche aux Éditions Dalloz.

Après une conférence admirable offerte par Koen Lenaerts , Antoine Garapon, secrétaire générale de l'Institut des Hautes Études pour la Justice, a parfaitement réagi en "premier discutant", soulignant comme chacun son grand intérêt à l'écoute de la démonstration faite par le Président de la Cour de Justice.

Il a estimé!footnote-95 qu'il n'était guère possible de parler de "Droit de la Compliance"!footnote-91, parce qu'il s'agit avant tout d'un droit qui cesse d'être "prescriptif" pour devenir "relationnel", les entreprises s'organisant pour mettre que des buts soient atteints en relation avec les autorités publiques. Les entreprises développent ainsi un "droit systémique" qui se développe tout seul, avec des mécanismes d'alerte mis en place directement par les entreprises qui se soucient avant de la continuité de leurs activités économiques. La notion de tiers disparaît, une sorte de "gouvernement direct" prend la place du "gouvernement indirect" que représentait le "tiers de justice", les entreprises ayant intégré ce tiers dans leur propre organisation, ce qui bouleverse leur rapport au temps et met en place un système "métajuridique".

Antoine Garapon pose alors la question de savoir comment une telle "conversion" a pu s'opérer, c'est-à-dire ce passage du mode de contrôle de l'Ex Post à l'Ex Ante, aboutissant à ce que les entreprises internalisent la tâche d'effectivité des règles !footnote-92. Il estime qu'il faut d'une part que le système qui le prône est la "puissance de marché pour l'imposer et que d'autre part ceux qui au sein de ce système le demandent explicitent une "vision du monde".  Antoine Garapon ajoute la nécessité d'une "ambition morale".

Or, Antoine Garapon a souligné les États-Unis ont réuni ces trois conditions.

Dans sa discussion, Antoine Garapon a en revanche estimé sur le fait que l'Europe ne les a pas réunies et qu'elle "part avec un handicap", parce qu'elle n'est pas tournée vers l'extérieur, parce qu'elle n'a pas de vision du monde, parce qu'elle n'a pas opéré d'intégration morale.

Il a insisté sur le fait que la Cour de Justice peut porter ces trois conditions, notamment à propos des données personnelles. Car c'est bien à propos du numérique que l'Europe a un pouvoir de marché. C'est bien à propos des donnés personnelles que la Cour de Justice est le lieu où l'Europe est à la fois un marché et des valeurs!footnote-93.

C'est pourquoi la Cour de Justice de l'Union européenne a effectivement un rôle central pour cette construction.

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Ces propos très construits, très instructifs d'Antoine Garapon!footnote-94 , merci à lui, ont parfaitement montré, en miroir de la conférence du Président de la Cour de Justice, l'enjeu : l'avenir.

Au-delà des disputatio autour des définitions, c'est effectivement la question de savoir si l'Europe va ou non construire des mécanismes propres de Compliance.

En trouvant un vocabulaire qui lui sont propres. Non seulement en langue française, car le Droit est fait des mots, mais encore avec des mots nouveaux, qui nous sortent du "traduit-collé" et qui porteront des ambitions européennes, comme le fût le cas pour le "droit à l'oubli", très souvent cité dans la discussion.

Certes il faut le "pouvoir". Mais il faut déjà le prétendre. Et le Droit a toujours prétendu exister. C'est en cela qu'il est un Ordre. C'est sans doute pour cela que le président Koen Lenaerts a insisté sur la "juridicisation" de la compliance, comme le fait la main du Droit qui se pose sur un objet.

3 mars 2018

Événements : JoRC

Parmi tout ce qu'il y avait à retenir, l'une des choses qui m'a le plus vivement marquée  de l'extraordinaire conférence du président de la Cour de Justice de l'Union européenne Koen Lenaerts sur "L'Europe de la Compliance" qui s'est tenue le 2 mars 2018 est sa capacité à faire "vivre l'Europe". Non seulement la faire comprendre mais encore la faire "vivre". Voilà bien l'enjeu : que la Compliance ne soit pas une accumulation de procédures sans raison et sans chair, mais un ensemble vivant prenant son sens en considération de la personne humaine, personne dont le juge a souci.

Le 2 mars 2018, Koen Lenaerts est donc venu dans un amphi de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) inaugurer le cycle de conférences organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC), cycle qui a pour titre général : Pour une Europe de la Compliance. S'y associent l'École d'affaires publiques de Sciences po, le Département d'économie de Sciences po, l'École doctorale de droit privé de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) et l'École de droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I). De nombreuses personnalités y prendront la parole.

Présentée par le professeur Thierry Bonneau, la présentation que fît le président Koen Lenaerts fût extrêmement riche et solide, parfaitement bien construite. On n'en attendait pas moins du grand Président de la CJUE. L'on retrouvera la teneur de ses propos techniques dans l'article qu'il donnera pour l'ouvrage qui sera publié dans la Série Régulations & Compliance sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche aux Éditions Dalloz. Et le lecteur en retrouvera toute la force et la maîtrise que l'on connait. Il en faut pour s'aventurer dans cette matière de la "Compliance" dont Koen Lenaerts a rappelé que l'on cherchait encore et la définition et un terme français qui rendrait justice à une définition satisfaisante!footnote-90. Cette question a été reprise par Antoine Garapon dans sa discussion.

Incarnant cette fermeté dont il faut faire preuve lorsque même les mots sont incertains, le président Koen Lenaerts a insisté sur le fait que l'Union européenne est un "État de droit". Cela signifie que les comportements doivent être respectueux des règles de droit. Pour cela, - et c'est pourquoi il convient de reprendre au sens littéral que l'on donne la langue anglaise to comply with , l'opérateur ne doit pas être passif mais fasse en sorte que son comportement soit effectivement respectueux des prescriptions. En cela, il y a un changement général de paradigme, qui fait passer le rapport de l'opérateur et de la règle de l'Ex Post vers l'Ex Ante!footnote-89 puisque l'entreprise doit être d'elle-même active et assurer l'effectivité de la règle. Cette internalisation de la règle par l'entreprise développe à la fois une culture procédurale et une culture comportementale, dans laquelle les entreprises peuvent exprimer une dimension éthique et nouer un "pacte de confiance"!footnote-88 avec les États et les autorités publiques. Ce changement a été provoqué par la globalisation, puisque les États n'ont plus les moyens d'imposer aux entreprises par l'intervention Ex Post de leur juridiction des normes éthiques de comportement, mais gagnent comme les entreprises à cette internalisation des règles dès l'instant que la Compliance est indissociable de l'accountability par laquelle l'entreprise est contrainte de justifier qu'elle tend effectivement à réaliser les buts globaux assignés par l'autorité publique.

Ainsi, après avoir exposé le mouvement général par lequel l'Europe s'est ouverte à ce bouleversement, le président Koen Lenaerts a pris trois dimensions techniques traversées par cette nouvelle conception. La première est celle du Droit des marchés financiers. La deuxième est celle du Droit de la concurrence, à propos duquel le président a développé les réflexions de la Cour sur la question de savoir si l'adoption d'un programme de conformité par une entreprise dont on découvre qu'elle a commis une violation au Droit de la concurrence, notamment par "négligence" est neutre, ou constitue  une circonstance atténuante ou constitue une circonstance aggravante. Cette question a été reprise après l'exposé dans la discussion avec la salle. La troisième est celle des données personnelles. Reprenant comme dans une valse à trois temps son propos, le président de la Cour de Justice constate que la compliance, alors même qu'elle consiste à transformer de l'Ex Post en Ex Ante se juridictionnalise et en cela la Cour de justice tient sa place, non seulement en Europe mais encore vis-à-vis du monde, sans que pour autant elle n'oublie jamais que ce sont les États qui élaborent les règles qui fondent l'Europe.

On retrouvera dans l'article qui sera publié tous ces éléments précieux et nul doute que l'élégance de la plume sera égale à celle de la parole.

Mais, exercice écrit oblige, le lecteur n'y retrouvera pas ce à quoi nous avons eu la chance d'assister : le récit, par celui que je préférerais nommer le "professeur Koen Lenaerts", de deux cas.

Deux cas célébrissimes, que nous, professeurs, commentons, rappelons dans nos cours, que les étudiants apprennent et récitent, citent dans leurs copies. Mais jamais de cette façon-là.

Le premier cas est le cas Schrerms, à l'occasion duquel la Cour a affirmé que Facebook ne pouvait transférer les données personnelles de cette personne aux États-Unis puisqu'il s'y opposait. Pour le faire comprendre, l'orateur l'a fait revivre par le plaidant, qui était un étudiant et pour cela il s'est adressé directement aux étudiants présents dans l'amphi. Il a souligné que le demandeur à l'origine du cas était un étudiant en droit, comme eux. Il a détaillé la situation de celui-ci, en Autriche, faisant quelques citations dans un allemand parfait, soulignant que cet étudiant en était aujourd'hui au stade du doctorat, invitant les étudiants à être vaillants, comme il le fût. A chaque épisode du récit, l'orateur racontait aux étudiants, faisant quelques détours sur sa propre vie d'étudiant car enfin nous étions tous en famille ..., Alma Mater. Mais ses mains racontaient plus encore l'aventure : lancées elles-mêmes dans le récit, elles brassaient l'espace, on aurait dit qu'elles-mêmes n'étaient pas davantage grandiloquentes que ne l'était le conférencier mais trouvaient exactement leur place, en position magistrale. Oui, voilà un président devant lequel les entreprises doivent avoir bien du mal à cacher la vérité, un président aux mains si fermes et dont le torse ne bouge pas mais qui se tourne à gauche et à droite afin de parler à chacun.

Le second récit, ce fût plus beau encore. L'arrêt Google Spain, je le connais. Je le connais même par cœur. Je l'ai lu, commenté, mis un grand nombre de fois en bas de page... Mais tout à coup voilà qu'est arrivé un petit commerçant espagnol : le président Koen Lenaerts nous raconta son histoire, et j'ai redécouvert l'arrêt. Un petit commerçant espagnol, dont l'orateur prononça le nom dans un espagnol parfait, a obtenu de la Cour de justice qu'on concrétise son "droit à l'oubli" et le président souligne le paradoxe apparent de l'insistance du plaideur à voir paraître son nom patronymique dans l'arrêt par lequel cette personne avait ainsi obtenu d'être oubliée ! Oui, je ne l'avais pas remarqué ... Pourquoi avoir demandé la mention de son nom dans le droit à obtenir l'effacement de son nom ? Parce que c'est une affaire d'honneur. Voilà ce sur quoi le conférencier a insisté : on ne badine pas avec l'honneur. Et si on le fait, même Google perdra.

Ce commerçant avait fait l'objet d'une procédure de vente immobilière forcée en raison de difficulté financière, ce dont les journaux s'étaient fait l'écho. Voilà son honneur piétiné. Puis, par un heureux retour de fortune, il avait recouvré ses biens,  sa prospérité, sa réputation. Mais de cela, la presse n'en avait pas parlé. Quelques lignes dans un journal d'annonces légales, mais cela ce n'est rien pour l'âme humaine. C'est pour cela qu'il voulait que disparaissent ces  liens numériques mécaniques qui aboutissent toujours et pour tous à des articles le présentant comme un misérable sans jamais aboutir à des articles le présentant comme un commerçant prospère (faute de l'existence-même de ces seconds articles). L'orateur insista beaucoup sur cette dimension. Et l'on sait que le Règlement général qui va entrer en vigueur en mai 2018 sur les données personnelles, qui intrigue tant les américains, puise dans l'arrêt Google Spain sa solution principale en la matière : ce "droit à l'oubli", droit subjectif si étrange.

En écoutant le président Koen Lenaerts, comment ne pas penser à Carbonnier ? aux articles de celui-ci, notamment sur "petites causes, grands effets" ?

De cette conférence, il restera un grand article, mais comme au théâtre, où l'éphémère fait partie de la beauté de cet art-là, ce que furent ces deux récits, racontés par celui qui avait su les écouter lorsqu'il fallait trancher les deux cas, restituer avec les deux fermes mains qui dansent en invitant les étudiants à entrer dans cette ronde, alors même que le Président de la Cour de Justice devait repartir immédiatement à Luxembourg pour tenir de si lourdes obligations, oui ce fût tout simplement magnifique.

 

 

3 mars 2018

Événements : JoRC

Lors de la discussion qui a suivi la conférence inaugurale du Cycle Pour une Europe de la Compliance  que Koen Lenaerts a consacrée au Rôle de la Cour de Justice de l'Union européenne dans la construction de l'Europe de la Compliance, et après une première discussion menée par Antoine Garapon, une problématique est plus particulièrement apparue.

En effet, le président Ken Lenaerts a repris la question de l'influence de l'adoption d'un "programme de conformité" par une entreprise lorsque par la suite un comportement anticoncurrentiel est imputé à celle-ci.

Les autorités de concurrence ou de régulation, ainsi que les juridictions, ont trois possibilités : soit considérer que l'entreprise avait fait ce qu'elle pouvait pour prévenir ce comportement, éduquer les personnes dont elle a la charge, que cette prévention n'avait pas suffi mais qu'il faut en tenir compte à sa "décharge" pour alléger sa sanction ; soit considérer au contraire que l'adoption d'un tel programme de conformité par l'entreprise par lequel elle exprime sa volonté expresse et pro-active de porter elle-même l'efficacité de la norme tandis que dans le même temps elle la méconnait constitue une circonstance aggravante de sa responsabilité ;  soit considérer que le fait doit demeurer neutre dans l'appréciation que le juge fait du comportement.

La Cour de justice s'en tient à la troisième solution.

Mais chacun reconnaît qu'il s'agit d'une question essentielle et pour laquelle les arguments sont fondés, la Commission européenne penchant quant à elle pour la qualification d'un fait aggravant.

Lors de la discussion, il a été souligné en sens inverse que dans la perspective de la Compliance comme mécanisme incitatif, ne pas prendre en compte de la part des entreprises l'adoption de programmes si coûteux est très décourageant pour elles. En outre, cela contredit la définition de la Compliance comme "pacte de confiance" entre l'entreprise et l'autorité publique.

 

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Que peut-on notamment retirer cette discussion d'un très grand intérêt ?

Qu'il s'agit donc une question qui demeure ouverte, parce que les arguments sont solides et que l'on pourrait dire que "chacun a raison", et les entreprises qui veulent que l'on prenne acte de leur comportement, et les autorités qui ne peuvent pas qu'on les abuse par ce qui ne serait qu'un paravent de comportements violant le Droit.

La question est sans doute de savoir si le choix de "neutralité" de la Cour de Justice est une solution d'attente ou une décision de non-choix, parce qu'on ne pourrait jamais savoir si une entreprise est "sincère" ou non lorsqu'elle adopte un programme de Compliance.

C'est sans doute ici qu'une solution pourrait être trouvée : dans des mécanismes probatoires. Car dans ces matières-là, c'est par des procédés techniques par lesquelles le sujet de droit (c'est-à-dire l'entreprise) donne à voir qu'elle a tout fait pour atteindre son but (obligation de moyens renforcée).

C'est sans doute en formulant des exigences probatoires de ce type que la Cour de justice pourrait sortir de sa position de neutralité. Car s'il est vrai que le juge doit être "impartial" par rapport aux faits, l'attitude qui consiste à donner aucune "pertinence" à un fait aussi important que les programmes de compliance est en soi contrariant. Il semble difficile d'y associer une règle de fond, pas plus qu'il n'est souhaitable de faire de la casuistique. Mais, et le droit économique s'y prête, un système probatoire que la Cour énoncerait clairement serait peut-être une bonne solution.

 

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Dans l'ouvrage qui paraîtra à la fin du cycle de conférences, un article sera inséré dans l'ouvrage sur cette question plus particulière de la portée des programmes de conformité sur l'appréciation du comportement de l'opérateur au regard des faits qui lui sont reprochés, question sur laquelle les différents régulateurs des différents systèmes juridiques divergent.

28 février 2018

Thesaurus : Soft Law