3 mars 2018

Événements : JoRC

Lors de la discussion qui a suivi la conférence inaugurale du Cycle Pour une Europe de la Compliance  que Koen Lenaerts a consacrée au Rôle de la Cour de Justice de l'Union européenne dans la construction de l'Europe de la Compliance, et après une première discussion menée par Antoine Garapon, une problématique est plus particulièrement apparue.

En effet, le président Ken Lenaerts a repris la question de l'influence de l'adoption d'un "programme de conformité" par une entreprise lorsque par la suite un comportement anticoncurrentiel est imputé à celle-ci.

Les autorités de concurrence ou de régulation, ainsi que les juridictions, ont trois possibilités : soit considérer que l'entreprise avait fait ce qu'elle pouvait pour prévenir ce comportement, éduquer les personnes dont elle a la charge, que cette prévention n'avait pas suffi mais qu'il faut en tenir compte à sa "décharge" pour alléger sa sanction ; soit considérer au contraire que l'adoption d'un tel programme de conformité par l'entreprise par lequel elle exprime sa volonté expresse et pro-active de porter elle-même l'efficacité de la norme tandis que dans le même temps elle la méconnait constitue une circonstance aggravante de sa responsabilité ;  soit considérer que le fait doit demeurer neutre dans l'appréciation que le juge fait du comportement.

La Cour de justice s'en tient à la troisième solution.

Mais chacun reconnaît qu'il s'agit d'une question essentielle et pour laquelle les arguments sont fondés, la Commission européenne penchant quant à elle pour la qualification d'un fait aggravant.

Lors de la discussion, il a été souligné en sens inverse que dans la perspective de la Compliance comme mécanisme incitatif, ne pas prendre en compte de la part des entreprises l'adoption de programmes si coûteux est très décourageant pour elles. En outre, cela contredit la définition de la Compliance comme "pacte de confiance" entre l'entreprise et l'autorité publique.

 

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Que peut-on notamment retirer cette discussion d'un très grand intérêt ?

Qu'il s'agit donc une question qui demeure ouverte, parce que les arguments sont solides et que l'on pourrait dire que "chacun a raison", et les entreprises qui veulent que l'on prenne acte de leur comportement, et les autorités qui ne peuvent pas qu'on les abuse par ce qui ne serait qu'un paravent de comportements violant le Droit.

La question est sans doute de savoir si le choix de "neutralité" de la Cour de Justice est une solution d'attente ou une décision de non-choix, parce qu'on ne pourrait jamais savoir si une entreprise est "sincère" ou non lorsqu'elle adopte un programme de Compliance.

C'est sans doute ici qu'une solution pourrait être trouvée : dans des mécanismes probatoires. Car dans ces matières-là, c'est par des procédés techniques par lesquelles le sujet de droit (c'est-à-dire l'entreprise) donne à voir qu'elle a tout fait pour atteindre son but (obligation de moyens renforcée).

C'est sans doute en formulant des exigences probatoires de ce type que la Cour de justice pourrait sortir de sa position de neutralité. Car s'il est vrai que le juge doit être "impartial" par rapport aux faits, l'attitude qui consiste à donner aucune "pertinence" à un fait aussi important que les programmes de compliance est en soi contrariant. Il semble difficile d'y associer une règle de fond, pas plus qu'il n'est souhaitable de faire de la casuistique. Mais, et le droit économique s'y prête, un système probatoire que la Cour énoncerait clairement serait peut-être une bonne solution.

 

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Dans l'ouvrage qui paraîtra à la fin du cycle de conférences, un article sera inséré dans l'ouvrage sur cette question plus particulière de la portée des programmes de conformité sur l'appréciation du comportement de l'opérateur au regard des faits qui lui sont reprochés, question sur laquelle les différents régulateurs des différents systèmes juridiques divergent.

21 juin 2016

Sur le vif

Le 17 juin 2016, l'avocat général devant la Cour d'appel de Versailles a présenté son réquisitoire devant les juges de la Cour d'appel de Versailles.

Sur le fond, le Ministère public a demandé la confirmation par la Cour d'appel de la condamnation du trader pour les infractions commises mais a demandé à ce que la banque, qui s'est portée partie civile, soit déboutée de l'ensemble de ses demandes formées contre l'auteur.

Pour le Ministère public, on peut bien reprocher au trader de nombreuses fautes pénales : abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données informatiques. En effet, Jérôme Kerviel avait détourné plusieurs milliards en jouant sur des écritures, manipulations masquées par des données falsifiées.

Son employeur, la Société Général, demandait donc réparation.

Le Ministère public l'exclut : il considère que la banque a elle-même commis une faute.

Non pas une faute pénale, mais une faute civile. Une faute civile constituée par un manquement objectif. Un manquement objectif pour n'avoir pas empêcher que le dommage lui advienne. Comme d'autres dommages. Comme la crise financière. Ou le chômage.

La faute civile imputée à la banque serait donc constituée par un "manquement".  L'avocat général s'est exprimé en ces termes : "Par ses manquements répétés ... et ses défaillances de contrôle ..., elle a  indéniablement rendu possible ou facilité la réalisation de la fraude et son développement ». Il ajoute que c'est la banque qui  "a entraîné les lourdes conséquences financières de cette fraude.".

Pour le Ministère public, la banque est donc elle-même à l'origine du dommage qu'elle a subi (fait générateur, causalité et dommage). Cela n'est concevable que parce qu'elle porte le poids du bien commun et des défaillances du système en son entier. L'avocat général affirme en effet que  " Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Elles représentent l’un des instruments les plus importants de l’État pour la mise en œuvre des politiques économiques et monétaires. En conséquence, leurs décisions, leurs prises de risque doivent être en permanence appréciées, contrôlées et maîtrisées. Les crises financières, ravageuses pour l’économie, l’emploi, la société, ont souvent révélé des défaillances dans les procédures d’évaluation et de contrôle".

Plus encore, l'avocat général considère que le rejet de toute indemnisation par la banque qui se considérait pourtant comme la victime de celui dont personne ne nie les actes délictueux " pourrait être un message fort donné aux établissements bancaires pour éviter qu’à l’avenir de tels faits puissent se reproduire".

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Le temps de la compliance arrive ...

A écouter un tel réquisitoire, le mot technique a rarement été si bien choisi, l'on constate que :

  • les banques sont visées en tant que le magistrat les perçoit comme "toutes puissantes", tandis qu'il perçoit l’État lui-même comme impuissant
  • il en résulte un transfert de "responsabilité", dont la banque paie ici le prix. Est-il raisonnable ?
  • Il s'agit de "donner une leçon" : les autres banques "de premier plan" doivent comprendre. Il s'agit sans doute des banques systémiques. La puissance a donc pour conséquence une obligation très lourde de tenir le système sans défaillance. Est--ce raisonnable ?
  • Le "message", c'est-à-dire la leçon, du nouveau maître qu'est le procureur, est l'obligation d'un contrôle interne qui ne faillit pas. Car c'est le manquement qui fait la faute.
  • Le temps de la compliance est arrivé.