Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Facilité essentielle

La théorie des facilités essentielles a été inventée aux États-Unis (essential facilities) par la Cour suprême dans un arrêt de 1911, à partir du seul droit de la concurrence. 

La Cour a posé que le gestionnaire d’un réseau de transport dispose d’un monopole naturel puisqu’aucun autre agent économique ne viendra le dupliquer. Dès lors, de ce seul fait, il est en position dominante et a la puissance d’imposer ses prix à des entreprises qui n’ont pas d’autres solutions que de solliciter auprès de lui l’accès au moyen de transport. La Cour a estimé qu’il y avait abus de position dominante, soit qu’il y ait refus d’accès, soit qu’il y ait prix trop élevé pour cet accès, la sanction n’étant pas alors des dommages et intérêts mais une réparation en nature consistant à obliger le gestionnaire du réseau à ouvrir l’accès de celui-ci à un prix équitable à ses concurrents.

Ainsi la théorie des facilités essentielles, reprise en droit communautaire en 1978 puis en droit français, permit sur le seul fondement du droit de la concurrence et par l’ingéniosité juridictionnelle d’aboutir au même résultat ex post qu’un système de régulation ex ante des industries de réseaux.

Filière

La régulation s’est historiquement construite sur l’idée de secteur, par exemple les télécommunications, l’énergie, le ferroviaire, la banque, l’audiovisuel etc. Cela été lié au fait que les régulations ont été pensées par l'Europe et plus particulièrement la Commission européenne comme des moyens d’établir une concurrence effective dans un processus de libéralisation des secteurs.

Mais, c’était penser d’une façon excessive la régulation par rapport à la concurrence, c'est-à-dire la régulation comme moyen de construire la concurrence. En effet, la régulation peut être aujourd’hui d’une façon première un moyen de prévenir les crises et de gérer les risques, ainsi qu’un moyen de gérer à long terme des biens et services qui ne supportent pas l’instantanéité des marchés, même menés à la maturité concurrentielle.

Or, dans cette seconde perspective, les risques ne sont en rien enfermés dans un secteur. Bien au contraire, ils passent d’un secteur à l’autre. De la même façon, un bien, par l’écoulement du temps, passe d’un secteur à l’autre. Ainsi, vient le temps de nuancer la pensée de la régulation par rapport au secteur et de concevoir la régulation par rapport au mouvement des biens qui ne bougent pas seulement d’une façon plane sur des marchés mais également dans des filières à l’intérieur desquelles ils se développent, ce qui suppose de la planification à long terme (comme en matière énergétique), et dans lesquels ils transportent avec eux les risques, ce que l’enfermement dans un secteur ne permet pas de gérer.

Ainsi, la contamination du risque bancaire a enflammé le secteur financier et le secteur assurantiel d'une façon aussi foudroyante que le fait un risque sanitaire allant du secteur de l'eau à celui de l'alimentation, du médicament, etc., de la même façon que les données passent du secteur de la télévision au secteur du téléphone, au secteur du numérique.

Plus encore, l’agriculture dont on pense encore très mal la régulation, sauf un ancien rapport sur la « filière bois », montre que le bien passe du secteur purement agricole au secteur de la vente alimentaire ou de la production pharmaceutique, eux-mêmes régulés sans connexion. Les organisations agricoles se sont spontanément coordonnées pour intégrer cette réalité des filières.

Si l’on intégrait mieux cette réalité des filières, laquelle correspond à la façon dont se propagent les risques, enjeu majeur de la régulation, dimension qui n’a rien à voir avec la concurrence, il faudrait déconnecter la régulation de son lien strict avec la notion de secteur, ou à tout le moins, mieux organiser l’interrégulation.

 

Finance

Les marchés financiers peuvent être soit réglementés (c'est-à-dire inscrits comme tels par la règlementation) soit organisés (c'est-à-dire construits autour d’une chambre de compensation), soit de gré à gré (c'est-à-dire laissant l’offre et la demande s’ajuster librement, comme le font les places alternatives, fonctionnant d’ailleurs souvent sur internet). La régulation financière s'est saisie des deux premières catégories de marchés et entend désormais  réguler les marchés de gré et gré, ce qui affaiblit l'opposition naguère faite entre Régulation et contrats. Cette régulation vise à titre principal  les places alternatives car elles sont les plus risquées et présentent un fort risque systémique.

Contrairement à ce que l’on désigne souvent comme « la régulation économique », qui vise à construire la concurrence lorsqu’un secteur vient d’être libéralisé mais que les opérateurs historiques sont suffisamment puissants pour empêcher que de potentiels nouveaux entrants puissent effectivement profiter de cette déclaration de concurrence offerte, la finance appelle une régulation qui lui est spécifique. En effet,ces marchés - sur lesquels des sociétés émettent des instruments financiers et dont les banques sont les principaux intermédiaires - sont des lieux où les demandeurs sont les investisseurs plus ou moins qualifiés. La régulation financière, à travers le régulateur financier, en France l’Autorité des Marchés Financiers  a pour fonction d’une part de protéger le marché lui-même contre le risque systémique et de protéger l’épargne, c'est-à-dire le consommateur.

Le paradoxe est que l’activité bancaire suppose une relation de confiance et de confidence entre le banquier et son client, et de secret à l’égard des tiers (secret bancaire) tandis que la finance suppose par nature l’information des marchés et des investisseurs. Dans la mesure où les banques sont omniprésentes sur les marchés financiers, cette contradiction conceptuelle les conduit parfois aux conflits d’intérêts. La prédominance de la finance conduit aujourd’hui à faire reculer le secret bancaire, y compris suisse, lorsque la taille des opérations fait craindre un risque systémique .

Fond Monétaire International (F.M.I.)

Le Fond Monétaire International (FMI), crée en 1945, a pour fonction historique d’intervenir pour aider les États en cas de crise financière grave. Par la technique de conditionnalité des prêts, le FMI a dépassé ce rôle de prêteur pour devenir une sorte de tuteur et imposer des réformes structurelles, notamment de libéralisation des économies dont les gouvernements lui demandaient une aide financière.

La crise financière de 2008 lui a donné une nouvelle importance car le Fonds apparait aujourd’hui comme le seul organe apte à intervenir en cas de crise financière et économique systémique mondiale, puisqu’il est le seul organe mondial. En cela il aurait vocation à être le nouveau et pour le moment seul régulateur économique et financier mondial. Reste à ce qu’il en ait les moyens financiers et à ce que les États acceptent cette dépossession de souveraineté.