2 septembre 2015

Analyses Sectorielles

Loi Macron, libéralisation et régulation du marché de l'autocar : la longue marche

Agnès Dufour, consultante chez Oxera

En juillet 2015, le marché des liaisons par autocar a été libéralisé pour les liaisons de plus de 100 km.

Un système de régulation est mise en place :  pour les liaisons de moins de 100 km, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) conduira un test économique visant à vérifier si les services d’autocar sont susceptibles de compromettre l’équilibre économique du contrat de service public sur le même tronçon.)

Il convient de rappeler comment était organisé le marché des autocars avant que le Législateur n'ouvre ce secteur (I) avant d'exposer le principe même de la réforme, à savoir le principe d'un test économique (II).

 

I. LE MARCHE DES AUTOCARS AVANT LA DÉCISION DE LIBÉRALISATION RÉGULÉE

Dans le secteur du transport domestique de passagers par autocar en France, l’ouverture progressive à la concurrence date de 2011. A cette date,  il est devenu possible d’offrir des liaisons inter-régionales sous certaines conditions :

  1. La destination desservie appartient à une liaison internationale et la desserte ne déstabilisait pas les contrats de transports conventionnés.
  2. Le transport intérieur de passagers ne doit pas représenter plus de 50 % du nombre annuel de passagers, ni plus de 50 % du chiffre d’affaire.
  3. La ligne d’autocar ne peut servir qu’une ville par région.

En outre, les liaisons devaient être soumises à l’approbation du Ministère des Transports, après consultation de la région et du département concernés au regard de leur impact sur l’équilibre économique de contrats de service public existants.

Cependant à certaines occasions, le processus d’approbation a pu être biaisé. Tout d’abord, comme l’a souligné l’Autorité de la concurrence (Adlc) [1], les décisions d’interdire une nouvelle liaison par autocar ont souvent manqué de justification économique. Plus précisément, l’existence d’un service ferroviaire parallèle à la liaison proposée était souvent le critère principal pour motiver ce type de décisions f. La majorité des décisions n’ont néanmoins pas analysé le niveau de substituabilité entre les différents modes de transport. Par exemple, certaines régions ont mentionné l’existence d’une ligne de TGV pour rejeter l’entrée d’un service d’autocar sans même évaluer la pression concurrentielle que l’autocar aurait pu représenter pour le TGV.

De plus, le processus décisionnel au niveau national a pu être sujet à conflit d’intérêts. En effet, l’État est à la fois actionnaire de la SNCF et régulateur du secteur des transports. Par ailleurs, les régions, participant à la consultation concernant l’ouverture d’une ligne d’autocar, ont souvent financé en partie les infrastructures ferroviaires. Un certain nombre de régions ont  de ce fait refusé l’ouverture d’une ligne pour protéger leurs propres investissements dans le ferroviaire[2].

Sans surprise, l’attractivité du secteur pour les opérateurs était dès lors réduite. L’absence d’analyse économique évaluant la pression concurrentielle opérée par les services d’autocar sur les autres modes de transport, combinée à un manque de transparence du processus décisionnel, créent des incertitudes considérables pour les opérateurs d’autocar, notamment dans leur capacité à prédire la probabilité d’approbation d’une nouvelle ligne.

La réforme par la "loi Macron" en juillet 2015

En juillet 2015, la réforme est votée[3]. Elle aboutit à la  Loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, mais il est courant de la désigner par le nom du Ministre qui l'en tracé les grandes lignes, à savoir le ministre de l'économie, Emmanuel Macron (loi dite "Loi Macron"). Elle vise à pallier les les problèmes énoncés précédemment, et prévoit d’ouvrir à la concurrence :

  • les lignes dépassant 100 km: alors les autocars pourront concurrencer librement les services ferroviaires sans autorisation préalable.
  • les lignes dont la distance entre deux dessertes consécutives est inférieure à 100 km, à condition que le nouveau service ne compromette pas l’équilibre économique du contrat de la ligne relevant du service public, à travers une analyse économique de la substituabilité entre le transport public ferroviaire et le transport routier.

Pour les liaisons inférieures à 100 km, l’ARAFER, qui est un régulateur indépendant, et non par un ministère public conduira dorénavant le test économique.L’indépendance du régulateur, ainsi que son expérience des tests de substituabilité dans le contexte de la libéralisation du transport ferroviaire de passagers à l’international[4], devraient contribuer à améliorer la transparence du processus et réduire les problèmes de conflit d’intérêts. De plus, dans son évaluation, le régulateur prendra en compte la différence entre les coûts et les bénéfices économiques d’un nouveau service.

Le degré de substituabilité entre les services ferroviaire et d’autocar est primordial pour déterminer l’impact de la réforme sur les choix futurs des consommateurs. L’expérience récente de la libéralisation du marché du transport en autocar en Allemagne (2013) permet de mieux comprendre les effets de report de passagers. Les services d’autocar allemands concurrence désormais à la fois le ferroviaire comme le routier (voiture) : entre 30 % et 44 % des passagers d’autocar acquis depuis la libéralisation utilisaient le train, entre 30 % et 41 % utilisaient la voiture (y compris le co-voiturage) et seulement 10 % sont des passagers qui ne voyageaient pas auparavant[5]. Le niveau report vers l’autocar est donc significatif. Le train reste néanmoins le premier mode de déplacement pour les trajets de longue distance, avec 129 millions de passagers pour le train pour seulement 17 à 19 millions en autocar sur les mêmes liaisons en 2014[6].

En France, si les consommateurs considèrent les deux modes de transport comme similaires en termes de temps de trajet, confort, fiabilité et horaire, la différence de prix sera décisive. Si la différence est assez prononcée, l’autocar devrait bénéficier d’une forte demande de la part des passagers. En effet, les coûts d’exploitations de l’autocar sont bien plus faibles que ceux du ferroviaire, ce qui devrait permettre d’offrir des prix inférieurs à ceux du train[7]. Par exemple, l’Adlc remarque que pour les liaisons inférieures à 200 km le temps moyen de transport est équivalent pour les deux modes, ce qui pourrait inciter les passagers à préférer l’autocar, moins cher[8]. Afin de protéger la SNCF contre une obligation de service public non soutenable, le test économique sera effectué pour les liaisons de courte distance.

 

 

II. L’ORIGINALITÉ DE LA REFORME FRANCAISE : LE TEST ÉCONOMIQUE

 

La mise en place d'un test économique mené par le Régulateur caractérise la réforme française.  . Il convient d'en exposer le principe (A) pour mieux en comprendre les débats auxquels il donne lieu (B).

 

A. Le principe du test économique

La finalité du test économique que conduira l’ARAFER est d’évaluer si l’entrée d’un opérateur d’autocar peut compromettre la viabilité d’une liaison ferroviaire de service public. Bien qu’il n’ait pas encore été précisément défini à ce stade, le test sera probablement similaire à celui que l’ARAFER applique pour évaluer l’impact d’un service ferroviaire concurrent sur une ligne conventionnée de la SNCF.

En octobre 2013, le régulateur ferroviaire (à l'époque désigné comme l’ARAF) a approuvé[9] l’entrée d’un opérateur ferroviaire italien, Thello, sur le marché du transport ferroviaire de passagers en France. Le test avait pour but de vérifier si le nouveau service de Thello compromettrait l’équilibre économique du contrat signé entre la SNCF et la région PACA. Le test s’est concentré principalement sur le degré de substituabilité entre les deux services à partir d’un certain nombre de critères comme le prix du billet, les horaires, le temps de trajet et la plateforme d’achat (en ligne, en gare, dans l’autocar, etc.).

Il est  probable que le test aujourd'hui mis en place prenne aussi en compte les effets positifs de l’autorisation d’une liaison par autocar pour les acteurs suivants :

  • Les passagers – temps de trajet réduit,  augmentation de la fréquence des services, prix réduits[10] ;
  • La région – impact économique positif du fait d’une meilleure connectivité de la région ;
  • La SNCF – du fait de sa présence sur le marché de l’autocar[11] et/ou par des effets d’induction de trafic[12].

Des tests économiques similaires ont été conduits dans d’autres pays européens. Au Royaume-Uni, par exemple, le régulateur ferroviaire[13] (Office of Rail Regulation - ORR) effectue un test visant à vérifier si l’effet principal de l’introduction de la nouvelle ligne est le report de demande depuis d’autres modes de transport (‘not primarily abstractive’ (NPA)). Ce test est requis afin d’autoriser les opérateurs ferroviaires en open-access (non conventionnés) à entrer en concurrence avec des services ferroviaires conventionnés. Le but de ce test est d’évaluer dans quelle mesure l’opérateur peut générer de nouveaux revenus en attirant une nouvelle demande, plutôt que de simplement détourner une partie des revenus des opérateurs conventionnés. L’ORR utilise une méthodologie bien définie ainsi que des modèles économiques afin d’autoriser ou non une nouvelle liaison.

 

B. Les débats autour de la réforme et du test économique

 

1. Le seuil de distance entre deux arrêts

Le niveau du seuil de distance en-dessous duquel les liaisons commencent à être régulées est sujet à débat. En effet, s’il est trop élevé, une part significative du marché ne sera pas dérégulée. En revanche, s’il est trop faible la libéralisation de certaines lignes pourrait mettre en péril les opérateurs de transports en commun conventionnés comme l’ont fait remarquer le Sénat et l’Adlc. Ces derniers préconisaient un seuil à 200km. Au final, le gouvernement a arbitré pour limiter la régulation aux liaisons de moins100km.

Même si un tel seuil ne devrait pas distordre la concurrence dans beaucoup de régions françaises, il pourrait tout de même réduire l’attractivité du marché dans certaines régions. Par exemple, le long de la côte sud-est, populaire en été, certaines villes sont distantes de moins de 100 km. Une ligne d’autocar reliant Saint-Tropez, Nice, Cannes et Monaco devra être soumise au test. Le test pourrait donc créer potentiellement des « effets de seuil », bien que limités. Cela signifie que les opérateurs pourraient renoncer à développer certaines liaisons, choisir certaines liaisons plutôt que d’autres ou encore modifier les arrêts pour éviter de devoir passer le test.

Le test réduit aussi la flexibilité des opérateurs d’autocar à s’adapter à la demande durant les périodes de pointes ou pour certains événements spécifiques, comme par exemple la desserte des stations de ski en hiver. La possibilité d’augmenter l’offre et d’offrir des prix moins élevés ponctuellement pourrait dès lors être limitée.

 

2. Combien d’entrants le marché peut-il supporter ?

Dans la décision Thello, il semble que le test ait été conduit au cas par cas. Cependant, il est peu probable que les différents opérateurs entrent sur le marché et fassent une demande d’autorisation auprès du régulateur au même moment. Mais si le marché n’a qu’une capacité limitée et ne peut accueillir qu’un nombre limité d’opérateurs, comment ces opérateurs seront-ils sélectionnés ? La procédure n’est pas claire pour le moment et une politique de « premier arrivé, premier servi » ne serait pas au optimal du point de vue du régulateur. Il est également probable que la SNCF entre sur le marché sur certaines liaisons avec sa propre filiale, biaisant ainsi l’impact net de la libéralisation sur la rentabilité et la viabilité de la SNCF étudiées dans le test.

Dans le cas d’entrées simultanées, l’ARAFER pourrait s’inspirer de l’expérience du régulateur britannique. Au Royaume-Uni, quand plusieurs opérateurs réussissent le test NPA et candidatent pour l’utilisation de la même capacité, l’ORR effectue en principe une analyse coûts/avantages pour sélectionner l’opérateur qui fera le meilleur usage de la capacité disponible. L’ORR compare alors les valeurs actualisées[14] des différentes offres, une méthode que le régulateur français pourrait également suivre en évaluant les candidatures simultanées.

 

La SNCF entre nouvelles opportunités et menaces

La libéralisation du marché des autocars français offre de nouvelles opportunités aux opérateurs d’autocars mais son succès dépendra en partie de la façon dont le test économique sera conduit. Parallèlement, la libéralisation pourrait affecter la capacité de la SNCF à effectuer sa mission de service public, les opérateurs d’autocar ne sélectionnant d’entrer que sur les liaisons les plus rentables. Le processus d’autorisation devra donc permettre de trouver le bon équilibre entre les avantages d’une concurrence inter-modale intensifiée et ses effets sur la viabilité à long terme des obligations de service public.

Une commission parlementaire[15], associée à des experts du ferroviaire, a conclu que l’autocar devrait remplacer le train pour les liaisons les moins fréquentées, étant donnée la contribution publique aux coûts d’exploitation de certaines liaisons de trains TET (trains d’équilibre du territoire), estimée à 0,11 € par passager par km soit environ 27 € pour 250 km. La libéralisation permettrait donc à la SNCF de réduire partiellement le fardeau des coûts des TET (le déficit prévu pour 2015 est évalué à 450 millions d’euros dont 40 millions du fait de la libéralisation des autocars) tout en respectant son obligation de service public. Par ailleurs, la SNCF opère déjà 2 000 liaisons TER par autocar (25 % des liaisons) et des lignes de longue distance à travers sa filiale iDBus. En outre, la SNCF devrait profiter d’une induction de trafic, avec un report des usagers d’autocar pour des correspondances en train.

 

C. L'intérêt de l'expérience allemande

 

 

Comme illustré par l’exemple de la réforme allemande, les opérateurs ferroviaires et routiers peuvent coexister et la SNCF devrait pouvoir trouver, comme la Deutsche Bahn l’a fait, sa place sur les deux segments du marché.

La libéralisation du marché allemand du transport en autocar peut apporter un éclairage sur l’impact potentiel de la réforme en France.

En 2013, l’Allemagne a libéralisé le marché de l’autocar pour les longues distances. Auparavant, les nouvelles lignes d’autocar étaient autorisées uniquement là où l’offre ferroviaire était insuffisante, à l’exception de quelques lignes historiques en provenance et à destination de Berlin, et des lignes internationales. De ce fait, à l’époque la plupart des lignes offraient un service de nuit (quand il n’y a en général pas d’alternative ferroviaire) ou vers les aéroports. La réforme de 2013 a permis de lever le monopole ferroviaire1 pour le transport de passagers et le nombre de lignes a augmenté de 86 au 31 décembre 2012 (pré-libéralisation) à 285 au 31 décembre 2013 (post-libéralisation).

La réforme a déclenché un processus dynamique avec un nombre considérable d’entrées et sorties du marché. Le niveau de concurrence est élevé dans le marché si bien qu’il est probable que seul un nombre restreint d’opérateurs se maintiendra pour servir la plupart des liaisons. La pression concurrentielle sur le ferroviaire est tout aussi forte. A titre d’exemple, en 2014, deux services ferroviaires étaient offerts par des opérateurs privés, une ligne Hambourg-Cologne (opérée par Hamburg-Köln-Express) et une ligne Leipzig-Berlin-Rostock (opérée par Veolia). Ces deux lignes étaient également concurrencées directement par des lignes d’autocar. Veolia a finalement suspendu son service ferroviaire et a supprimé la liaison devenue non rentable à la fin de 20142. En Allemagne, le transport en autocar est significativement moins cher que le train : dans 94 % des cas les tarifs de l’autocar sont plus faibles que ceux du train – les tarifs du train sont en moyenne plus de deux fois plus élevés (139 %) que ceux de l’autocar.

La libéralisation a aussi offert l’opportunité aux opérateurs ferroviaires de se développer sur le marché de l’autocar et d’optimiser les correspondances avec le ferroviaires. Par exemple, l’opérateur historique Deutsche Bahn est actif sur le marché de l’autocar à travers sa participation dans l’opérateur Berlin Linien Bus.

On observe également que le ferroviaire reste protégé sur les liaisons de moins de 50 km dans la plupart des cas!footnote-34.

 

 

En conclusion et d'une façon plus générale  le succès de la réforme dépendra en partie de la capacité du régulateur à protéger la SNCF tout en permettant aux opérateurs d’autocar de répondre à la demande additionnelle là de façon aisée et efficace.

 

______

 

[7] Les coûts opérationnels des TER sont environ trois fois plus élevés que ceux des autocars. La différence est encore plus élevée si les coûts d’infrastrucures sont pris en compte. Voir : Certu, Sétra, Cete de Lyon and Cete Nord Picardie (2013), Premiers éléments de réflexion sur la pertinence des modes fer et routes pour les dessertes nationales

[10] Pour les liaisons Paris-Lille et Paris-Lyon, l’Adlc a comparé le prix des billets de train et d’autocars et a conclu que les prix de ces derniers étaient plus faibles et plus stables, les opérateurs ne semblant pas vouloir mettre en place un yield management du fait de la forte sensibilité aux prix de la clientèle. Voir : Autorité de la concurrence (2014), ‘Avis no14-A-05 du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar’, p. 32.

[12] Surplus de passagers susceptibles d’utiliser les services SNCF du fait de la centralisation du trafic vers des gares ferroviaires.

[14] La valeur actuelle nette correspond à la valeur nette générée par un projet indexée par le coût d’opportunité à ne pas disposer de l’argent au moment de l’investissement.

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