12 février 2015

Analyses Sectorielles

Les décrets d'application adoptés le 10 février 2015 pour la mise en oeuvre de la "réforme ferroviaire" illustre la volonté du Gouvernement de décider seul, le rôle de conseil du Régulateur demeurant marginal

par Marie-Anne Frison-Roche

Il ne sert à rien à compter un à un les pouvoirs d'un Régulateur et de les additionner pour essayer de mesurer sa puissance. Il faut mesurer quelle considération les autres ont de l'exercice qu'il fait de ses pouvoirs.

Ainsi en est-il de son pouvoir d'avis. Parfois, de fait, son avis vaut autant que s'il adoptait lui-même le texte, tant ceux qui lisent ses observations en sont impressionnés. Parfois, le Régulateur peut bien formuler un avis sensé, motivé, pertinent, ceux auxquels il s'adresse n'en ont cure.

Le résultat est souvent que le Régulateur prend alors acte de cette faiblesse à propos de laquelle dans le cadre strict de ce pouvoir d'avis il ne peut rien, mais dans la continuité de ses pouvoirs entre l'Ex Ante et l'Ex post, parce que le secteur est un espace clos, il s'en souvient, notamment lorsqu'il exerce ses pouvoirs de règlement des différents ou plus encore ses pouvoirs de sanctions. Et là ...

Prenons l'exemple des activités ferroviaires. L'Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires (ARAF) est un Régulateur récent, face à des acteurs puissants, dans lesquels l'Etat a des intérêts. Le fait que ces intérêts soient légitimes n'enlèvent pas le poids qu'un tel opérateur public intégré représente face au Régulateur. Le 27 novembre 2014, l'ARAF a exprimé des avis défavorables concernant les principaux projets de décrets. Le 6 janvier 2015, l'Autorité de la concurrence a également formulé un avis critique, englobant dans son mécontentement et la loi de "Réforme ferroviaire" et ces projets de décrets.

Le 11 février 2015, les 7 décrets d'application du 10 février 2015 ont été publiés. Les avis défavorables concernant trois d'entre eux par le Régulateur (l'ARAF) ont été balayés. On peut l'admettre tout à fait, à la fois concernant l'Autorité de la concurrence, puisque nous somme en matière de Régulation et non pas dans le simple jeu de la concurrence, et concernant l'ARAF, car son avis n'est que consultatif, et le pouvoir exécutif reste dans la ligne de la volonté du Parlement. C'est comme si le Régulateur n'avait rien dit.

Ainsi, au regard de la hiérarchie des normes, dans la lettre comme dans l'esprit, les décrets sont dans la droite ligne de la loi qu'ils mettent en application.

Mais il n'est pas exclu que le Régulateur des activités ferroviaire se souvienne d'avoir été si peu considéré lorsque c'est en tant que sorte de juge, dans des fonctions civiles (règlement des différents) et répressives (sanctions) que les mêmes se présenteront devant lui.

La loi du 4 août 2014 a opéré la "réforme ferroviaire" en organisant un "groupe public", composé d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) dont la dénomination est SNCF à sa tête.Cet "EPIC de tête" gouverne  deux autres EPIC, celui qui gère le réseau - SNCF Réseau  (remplaçant RFF), celui qui gère l'exploitation -SNCF Mobilités -. 

Le 10 février 2015, 7 décrets d'application sont adoptés. On en attend plusieurs dizaines d'autres...

Tous ne posent pas problème.  Par exemple, le décret n° 2015-143 met à niveau le système d'interopérabilité avec la nouvelle organisation du Groupe Public Ferroviaire.

Plus encore, certains décrets ont amélioré le système. Par exemple, le décret n° 2015-139  organise les fonctions de répartition de capacité sur le réseau et à ce titre met en place un dispositif, notamment une commission de déontologie, pour que soit conservée la confidentialité des informations que le gestionnaire du réseau de la part de tous les opérateurs, afin d'éviter que celles-ci ne soient exploitées par l'opérateur public dans son activité d'exploitant. On ne peut que s'en réjouir, l'information étant le coeur de la puissance. L'on se souvient aussi que la SNCF a été condamnée par une décision de l'Autorité de la Concurrence du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvres dans le secteur du transport ferroviaire de marchandise , au terme d'une procédure de sanctions ouverte d'office par l'Autorité, pour de telles pratiques.

Cela tend à montrer que pour un Ex Ante vertueux, il faudrait donc une sanction préalable en Ex Post ... De la même façon que, comme nous allons le voir ci-dessous, si le pouvoir législatif ou exécutif, n'écoute pas le Régulateur en Ex Ante, ce qu'il est légitime à faire, il risque de devoir l'écouter de force en Ex Post.

En effet, d'autres avaient reçu un avis défavorable émis par le Régulateur lorsqu'ils étaient au stade de projet. Alors, le pouvoir exécutif ne les a guère modifiés.

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Ainsi, le décret n°2015-137 n°2015-137 a pour objet de préciser la puissance de l'EPIC de tête, SNCF, dans le Groupe Public et notamment la façon dont il gère les fonctions "mutualisées". Le Régulateur avait émis un avis défavorable car il est bien difficile de distinguer une fonction technique d'une fonction stratégique :  si par exemple SNCF exerce les fonctions juridiques, comme SNCF Réseau peut-il préparer ses différents avec un EPIC de tête qui par ailleurs exerce des activités opérationnelles ? En Ex Post, le Régulateur a pour première tâche de veiller à l'indépendance du gestionnaire de l'infrastructure du réseau et pourra se souvenir que ses mises en garde en Ex Ante n'ont pas eu de portée.

Le décret n° 2015-140 organise le contrôle par le Régulateur du financement des projets d'investissement sur le réseau, point crucial dans toute industrie régulée de réseaux. Le Régulateur doit effectivement formuler un avis sur tout investissement envisagé supérieur à 200 M euros.  Mais l'avis défavorable de l'ARAF sur le texte tenait au fait que le Régulateur ne pourrait pas contrôler les flux entre SNCF Réseau  et SNCF Mobilités, alors même que le premier reçoit des financements publics. Le texte n'a pas changé le système. C'est au regard du droit de la concurrence, par la prohibition des subventions croisées, et au regard du droit de la régulation, par le devoir de protection du gestionnaire du réseau qu'en Ex Post, des comptes auraient être demandés.

Le décret n° 2015-138 n°2015-138 précise l'objet social de SNCF Mobilités, confirmant la volonté législative de lui confiant la gestion des gares et précisant cette tâche. L'avis défavorable du Régulateur émis en Ex Ante face à un tel pouvoir d'un opérateur sur une infrastructure essentielle a peu été pris en considération, le Régulateur étant désormais consulté sur la nomination du président du Conseil d'administration de la stratégique entité "Gare & Connexion". Ne va-t-il pas s'en souvenir en Ex Post, par exemple dans un règlement des différents ?

 

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The Journal of Regulation a présenté l'Avis rendu le 6 janvier 2015 par l'Autorité de la Concurrence sur ce qui était à l'époque des projets de décrets. Il est sévère. Notamment parce que l'avis du Régulateur, l'Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires - ARAF, n'a en rien pesé et parce que les pouvoirs du Régulateur sont de fait réduits face à un tel Groupe Public. Les arguments en défaveur de la reprise en main par l'Etat du secteur à travers les opérateurs public peuvent trouver des arguments en réponse, notamment dans ce qui est une politique publique des transports. Mais l'Autorité de la Concurrence demandait que les pouvoirs du régulateur soient à tout le moins renforcés.

Il n'en a rien été.

Nous ferons si ce pouvoir, légitime politiquement, ici exercé, se paiera en Ex Post.

 

 

 

 

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