19 mars 2018

Sur le vif

Interrégulation : la Cour des comptes demande au Gouvernement de tirer les conséquences de la transformation de la DGCCRF en régulateur autonome, actif dans le numérique

par Marie-Anne Frison-Roche

Un "référé" émis par la Cour des comptes n'est pas un acte juridictionnel. Il s'agit d'une question adressée au Gouvernement, ce qualification de "référé" signifiant qu'une réponse doit être apportée par celui-ci à la Cour.

Le 17 décembre 20177,, la Cour des comptes a émis un référé à l'adresse de deux ministres, celui de l'économie et des finances d'une part, celui de la justice d'autre part, concernant la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Son objet est "L'action de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en matière de protection économique du consommateur".

Il rappelle ce qu'est la protection du consommateur : il s'agit de son "information claire et loyale lors de son acte d'achat".

La Cour souligne que la DGCCRF travaille pour cela avec l'AMF, l'ACPR et l'ARCEP et consacre à cela 50% de ses ressources. 

Elle constate que les "suites correctives" (injonctions de mise en conformité) et "répressives" (P.V., transactions, sanctions) ont augmenté, ainsi que le nombre de sites contrôlées.

I. LE CONTENU DU RÉFÉRÉ

La Cour demande au Gouvernement, à travers les deux ministres destinataires :

1. de donner à la DGCCRF les moyens pour développer les complémentarités avec les autorités de régulation précitées.

Elle souligne que des régulateurs ont développé la "régulation par la donnée" (ARCEP), notamment par la mesure de la qualité du service rendu au client, ce qui conduit à une perspective commune,  notamment en matière d'accès au code source, d'algorithme sur les sites de commerce en ligne, ouvrant sur la question de la "loyauté des plateformes". La DGCCRF doit pouvoir travailler avec l'ARCEP, la CNIL et l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information.

2. de donner à la DGCCRF les moyens pour protéger le consommateur dans l'usage de leurs données personnelles

La Cour relève que les règles en la matière ne sont pas respectées sur les sites de vente en ligne, qu'il y est difficile de "réguler la publicité", notamment parce que les sites n'adhèrent pas à l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), la régulation la plus satisfaisante étant opérée par l'AMF sur les produits financiers proposés dans l'espace numérique. C'est donc à la DGCCRF d'opérer un contrôle Ex Post.

3. de donner à la DGCCRF les moyens pour faire respecter le droit de la consommation dans l'espace numérique

Au regard du droit américain (pouvoirs de la Federal Trade Commission), la Cour suggère que la DGCCRF ordonne à l'occasion d'une transaction l'indemnisation des consommateurs victimes. La Cour suggère aussi que la décision de la DGCCRF deviennent publiques, comme le sont les transactions de l'AMF.  Pour l'instant, les transactions opérées par la DGCCRF ne sont publiées qu'à titre de sanctions complémentaires et ne sont pas que peu, il faudrait inverser le principe.

4. de donner à la DGCCRF les moyens pour que le consommateur ait un rôle plus actif

S'appuyant sur l'exemple américain, la Cour recommande une "synergie entre l'action des pouvoirs publics et celle des consommateurs". Elle cite la méthode de certification publique des produits de consommation, l'exemple du label "fait maison" pour les produits de restauration. Maintenant que la loi de 2016 sur la justice a étendu l'action de groupe, la Cour demande une évaluation de cet outil "dont le potentiel demeure important".

La Cour recommande donc : de permettre des sanctions en pourcentage de chiffre d'affaires ; de prévoir des indemnisations des consommateurs à l'occasion des transactions ; de poser le principe d'une publicité systématique des sanctions ; de proposer au niveau européen une assistance administrative au recouvrement des sanctions ; de réexaminer le dispositif de l'action de groupe pour favoriser son développement.

 

II. OBSERVATIONS

 

1. La DGCCRF, plein "régulateur" ayant un but : la protection du consommateur

La DGCCRF est devenue une Autorité autonome et non plus seulement un département du ministère de l’Économie.

Cela est le sens des lois, qui la met en distance de l'Autorité de la concurrence, voire du Ministre.

 

2. Une pleine "interrégulation"

L'objet même du référé est d'organiser une "interrégulation" avec d'autres autorités.

Ce faisant, l'on finit par reconstituer l’État : dans la mesure où la "protection du consommateur" est un des buts donnés aux Régulateurs sectoriels, si au sein de l’État existence une sorte de Régulateur général ayant ce but unique mais sur tous les secteurs, cela conduit à la superposer sur ces régulateurs, dans le même continuum Ex Ante et Ex Post que ceux-ci, comme le montre les recommandations, qui consistent souvent à emprunter aux pouvoirs des Régulateurs spéciaux (par exemple l'AMF) pour les lui attribuer.

Cela peut finir par produire des conflits positifs, sauf à ce que les Autorités s'entendent bien.

 

3. Une "interrégulation" tournée vers les Régulateurs numériques et financiers et non vers l'Autorité de la concurrence

Même si la Commission de Régulation de l’Énergie est visée en note, ce sont les autorités financières et bancaires d'une part, et les autorités des télécommunications et des médias d'autre part, qui sont visés, en tant que les deux catégories ont pris sur le numérique.

Cette interrégulation montre que la lacune de Régulation du numérique, à laquelle il convient de pallier par l'accroissement des pouvoirs de la DGCCRF qui, en étant plus "active" et plus "effective" et en rendant le consommateur plus-même plus "actif" peut y pallier.

La difficulté vient du fait que la Régulation du numérique ne peut pas se soucier que de la protection du consommateur, ce qui est le seul but qui est ici servi par la DGCCRF.

En outre, l'Autorité de la concurrence n'est pas visée, alors même qu'elle est très active en matière numérique. Sans doute la concurrence institutionnelle joue-t-elle un rôle dans ce silence.

 

4. Des exemples pris aux États-Unis

Les exemples pris sont américains. Comme celui de l'indemnisation des consommateurs, ou celui de l'action de groupe.

Comme par une sorte de "rattrapage" de ce qui serait une sorte de modèle.

L'on aurait pu emprunter à d'autres systèmes juridiques, notamment si l'on considère que la construction de l'Europe numérique doit se faire d'une façon endogène.

 

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Il demeure que toutes les suggestions permettent un plus fort maillage vers une Europe numérique plus forte, montrant que la "Régulation du numérique" prend la forme de l' "Interrégulation".

 

 

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