6 juin 2018

Sur le vif

"Doctrine" fiscale, bitcoin et QPC: le Conseil d'Etat maître et autosuffisant des qualifications du droit des affaire ?

Le Conseil d'Etat avait été saisi de plusieurs recours pour excès de pouvoir visant un "commentaire administratif" de 2014 qui définit le "bitcoin" comme Le bitcoin est une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d'utilisateurs d'échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal". A partir de cette définition, le commentaire poursuit a contrario : "L'émission du nombre de bitcoins étant limitée et déterminée, leur acquisition en vue de leur revente procède d'une intention spéculative.". Plus loin, il en tire comme conséquence fiscale : « Le bitcoin est une unité de compte virtuelle qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif. / Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article L. 110-1 du code de commerce qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre, l'achat-revente de bitcoins exercée à titre habituel et pour son propre compte constitue une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en application de l'article 34 du CGI. / En revanche, les produits tirés de cette activité à titre occasionnel sont des revenus relevant des prévisions de l'article 92 du CGI".

Nous voilà donc dans un exercice de pure doctrine. 

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 avril 2018, M. G... et autres, est à la fois intéressante sur le fond et sur le fait que, de plus en plus, le Conseil d'Etat se comporte comme étant autosuffisant, et par rapport au Droit constitutionnel et par rapport au Droit civil (définition d'un "bien") et par rapport au Droit commercial (définition d'un "acte de commerce").

En effet, les requérants en demandaient l'annulation et articulaient des QPC. Mais le Conseil d'Etat affirment que ces questions ne sont ni nouvelles ni sérieuses. Car il interprète directement et le Code de commerce et le Code civil. 

Dans la décision rendue, le Conseil d'Etat vise aussi bien la Constitution que le Code civil ou le Code de commerce. 

S'il en est ainsi, le Droit des "bitcoins" (qui ne poserait donc des questions ni nouvelles ni sérieuses, ce qui obligerait le Conseil d'Etat à partager sa compétence) serait issu de la doctrine du Conseil d'Etat. 

 

Lire la suite ci-dessous. 

Thèmes

Dans cette décision, selon lui, le code de commerce qui définit l'acte de commerce et l'activité commerciale habituelle n'interdit en rien au législateur de traiter différemment les revenus tirés d'une part des cessions des valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés et d'autre points des bitcoins. La question n'est pas, selon le Conseil d'Etat ni nouvelle ni sérieuse et il n'est pas utile selon le Conseil d'Etat de la renvoyer devant le Conseil constitutionnel. 

Puis le Conseil d'Etat, après avoir écarté expressément la compétence du Conseil constitutionnel, puisque la question du bitcoin ne serait ni nouvelle ni sérieuse, écarte également implicitement celle du juge judiciaire, puisqu'il vise l’article 516 du code civil qui définit les catégories de biens.  Il estime que les gains issus d’une opération occasionnelle de cession d’unités de « bitcoin » sont ainsi susceptibles d’être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dans la mesure où ils  sont la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement de ce système d’unité de compte virtuelle. En revanche (et c'est là où interviennent les définitions issues du Code de commerce), si les gains proviennent de la cession, à titre habituel, d’unités de « bitcoin » acquises en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble, dans des conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale, ils sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

C'est à partir de cette distinction première entre l'activité occasionnelle et l'activité habituelle de cessions de bitcoins, distinction méconnue dans les commentaires attaqués que les dispositions qui la méconnaissent sont annulées par le Conseil d'Etat, et seulement celles-là. 

 

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